Francis Perrin: «La situation serait extrêmement grave, si les prix du pétrole demeurent bas»

Francis Perrin. Président de Stratégies et Politiques énergétiques

«La situation serait extrêmement grave, si les prix du pétrole demeurent bas»

El Watan, 22 Avril 2015

– Les marchés pétroliers enregistrent depuis quelques jours un léger redressement des cours. Cela augure-t-il, à défaut d’un renversement de la tendance, une stabilisation d’un marché sur un nouvel équilibre ?

On ne peut effectivement pas parler de renversement de tendance, mais les cours semblent se stabiliser un peu au-dessus des 60 dollars par baril pour le brent de la mer du Nord. Le 21 avril en milieu d’après-midi, le prix du baril de brent coté à Londres était supérieur à 63 dollars et celui du brut américain West Texas Intermediate (WTI) était de près de 58 dollars.

C’est très faible au regard des niveaux enregistrés entre 2011 et juin 2014. Mais quand on se souvient que l’on est tombé entre 45 et 50 dollars le baril à certains moments du premier trimestre 2015, on voit quand même que du chemin a été parcouru. Il est cependant trop tôt pour affirmer que le marché pétrolier international a atteint un nouvel équilibre dans une zone de prix pour le brent de 60-65 dollars/b. Si c’était le cas, ce ne serait pas un trop mauvaise nouvelle pour les pays exportateurs dans le contexte actuel.

Il y a toujours un excédent d’offre par rapport à la demande. Celui-ci n’a pas été résorbé et il ne le sera pas en 2015, sauf en cas de décision énergique de réduction de la production de la part de l’OPEP et de certains pays non OPEP. De plus, la bonne tenue récente des cours a pour partie des raisons conjoncturelles, telles que la baisse des réserves obligatoires des banques en Chine pour favoriser la croissance économique.

– La stratégie saoudienne s’est-elle révélée payante ?

Disons qu’il y a certains frémissements. Dans certains pays ou régions, la consommation pétrolière est orientée à la hausse du fait de la chute des prix ; les compagnies pétrolières réduisent leurs investissements en 2015 ; le nombre d’appareils de forage en activité aux Etats-Unis a fortement baissé et la production pétrolière de ce pays-clé devrait se tasser au second semestre. On voit que des mécanismes d’ajustement sont à l’œuvre. Mais il faudra un peu plus de temps pour qu’ils produisent des effets plus spectaculaires.

– Certains pays de l’OPEP tablent sur un baril à 70 dollars d’ici fin 2015. Cette prévision est-elle réalisable si l’on prend en considération le possible retour de certains producteurs, tels que l’Iran et la Libye, sur le marché ?

Pour le brent, on est actuellement à 63 dollars/b et atteindre 70 dollars vers la fin 2015 n’est pas impossible. Mais pas impossible ne veut pas dire que cela se produira. Il pourrait très bien aussi terminer l’année à 50 dollars/b. Je crois que les pays producteurs ont intérêt à être très prudents actuellement et à se fonder sur des hypothèses plus basses. Si les prix augmentent au second semestre, ce sera une bonne chose pour ces Etats, mais nous sommes dans une période de très grande incertitude.

Vous évoquez à juste titre l’Iran et la Libye. La situation du premier de ces pays est moins incertaine que celle du second, qui échappe à tout contrôle. Cela dit, il n’est pas encore sûr qu’un accord sera conclu sur le programme nucléaire de l’Iran d’ici la fin juin, même si cela semble l’hypothèse la plus probable. Dans l’hypothèse d’un accord, il resterait à voir quel serait le calendrier de la levée des sanctions : immédiate et totale, comme Téhéran le souhaite, ou partiellement et progressivement, comme le voudraient les pays occidentaux.

L’Iran dit vouloir doubler à 2 millions de barils par jour ses exportations de brut sur plusieurs mois, mais si la levée des sanctions était progressive, l’impact pourrait être plus sur 2016 que sur le second semestre 2015. Quant à la Libye, j’espère qu’un accord politique interviendra rapidement dans ce pays, ce qui permettrait de relancer la production et les exportations pétrolières. Mais on ne peut malheureusement pas tabler sur ce résultat.

– Quelles seraient les conséquences de la persistance d’un niveau bas des prix sur un pays producteur comme l’Algérie ?

L’impact est clair et préoccupant : une forte chute des recettes d’exportation et des recettes budgétaires, une détérioration des équilibres externes du pays, une baisse des réserves de change de la Banque d’Algérie et des conséquences négatives sur la croissance. Cet impact est déjà visible dans les chiffres ; dans le court terme, il peut être géré. Si les prix devaient demeurer fort bas dans le moyen terme, ce serait extrêmement grave. Les importations du pays ont été quasiment égales à ses exportations en 2014 (60 milliards de dollars) alors que l’écart en faveur des exportations était de 8,7 milliards de dollars en 2013.
Roumadi Melissa