Marché gazier : le compte à rebours a déjà commencé pour l’Algérie

Marché gazier : le compte à rebours a déjà commencé pour l’Algérie

par Mahdi B., Le Quotidien d’Oran, 22 octobre 2013

Le compte à rebours sur le marché gazier a déjà commencé et l’Algérie n’y est pas préparée avertit Mahdi B. dans ce point de vue argumenté sur une question vitale pour l’économie du pays.

A la fin 2012 aux Etats Unis, il y avait plus de 20 projets de terminaux de liquéfaction de GNL pour son exportation totalisant une capacité cumulée de plus de 300 milliards de mètres cubes, soit prés de 80% de la capacité mondiale de liquéfaction actuelle. Même si seulement une faible partie de ces projets verraitfinalement le jour, elle est de nature à bouleverser totalement le marché mondial du gaz, et de l’Algérie aussi…

QUELLE EST ACTUELLEMENT LA SITUATION DU MARCHE GAZIER MONDIAL ?

A l’inverse du marchépétrolier qui est complètement mondialisé, le marché du gaz est plutôt régional pour des raisons évidentes de transport. Ce dernier est assuré soit par gazoducs (tuyaux) ou par des méthaniers (navires spécialisés dans le transport du gaz). Les gazoducs ont l’avantage d’être relativement peu onéreux, sûrs et peuvent transporter de grandes quantités sur d’assez longues distances. Mais comme les points de départ et d’arrivée de ces gazoducs sont en principe fixes, le choix des clients est plutôt restreint et nécessite avant même la construction des contrats àtrès long terme pour sécuriser les investissements. Si on voulait plus de flexibilité et atteindre plus de clients, il faut privilégierles méthaniers mais ceux-ci nécessitent des usines de liquéfaction pour diminuer le volume du gaz pour pouvoir en transporter plus et le rendre ainsi économiquement viable. Cette filière dite GNL est extrêmement coûteuse par les installations de liquéfaction qu’il faut construire et les méthaniers qu’il faut affréter ou acquérir. Il faudrait ensuite construire des terminaux de regazéification dans les pays clients pour pouvoir l’injecter dans les circuits de distribution. Pour donner une idée, les coûts de liquéfaction et transport sont bien supérieurs aux prix du gaz lui-même pour un trajet de livraison moyen. On peut estimer qu’il ya trois marchés principaux pour le gaz correspondants aux trois régions développées dans le monde. Le marché nord américain (appelé Henry hub), le marché ouest Européen et le marchéde l’Extrême-Orient Asiatique avec le Japon, la Corée du Sud et la montée en puissance de la Chine. Avec la révolution des gaz de schiste, le marché nord américain se trouve excédentaire et devant l’impossibilité d’exporter le surplus faute de terminaux de liquéfaction, les prix ont chuté jusqu’à 3-4$ le Mbtu. Sur le marchéEuropéen essentiellement alimenté par gazoducs par la Russie, les prix se maintiennent entre 10-12$ même si les clients mettent sous pression leurs fournisseurs Gazprom et Sonatrach et demandent (et obtiennent) des ristournes. Par contre, sur le marché Asiatique, essentiellement GNL compte tenu de l’insularité des principaux clients et de l’éloignement des sources d’approvisionnement, les prix ont explosé surtout depuis l’incident de Fukushima et atteignent les 15-17$ le Mbtu.

UN MONDE EN PERPETUEL MOUVEMENT

Devant ce fort gradient de prix entre les deux cotés du Pacifique (5 fois le prix tout de même !), il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que les américainsréfléchissent àconstruire des terminaux de liquéfactions pour pouvoir exporter et inonder les marchés asiatiques. Ainsi la construction des trains de liquéfaction de Cheniere Energy à Sabine Pass a déjà commencé. Ils devraient entrer en production en 2016 (dans moins de 3 ans) et la deuxième phase en 2018 avec une capacité cumulée de 36 milliards de mètres-cubes soit pas loin des capacitésAlgériennes de GNL. D’autre part, rien qu’en 2013, 24 méthaniers ont été ou vont être livrés et le carnet de commande contient pas moins de 94 méthaniers à livrer jusqu’à 2017. Il faut noter aussi que la taille moyenne des ces bateaux est de plus 164.000 mètres cubes soit plus de 40% de plus que la moyenne de la flotte d’Hyproc, la filiale de Sonatrach chargée du transport des hydrocarbures. Comme on le voit, on se dirige à très court terme vers une abondance de GNL et des moyens de le transporter.

ET L’ALGERIE DANS TOUT ÇA ?

On pourrait penser de prime abord que l’Algérie n’est pas concernée et que finalement, les pays Asiatiques ne sont pas ses clients. Que nenni ! Dans ce jeu de billard à trois bandes il faut faire intervenir le Qatar dont toutes les installations tournent à plein régime et déverse sa production sur le Japon et la Corée. Une fois qu’il sera concurrencé par le GNL américain et la baisse des prix inévitable, sur qui va-t-il dévier sa production ? Sur les pays Européens, second marché le plus rémunérateurmais surtout clients naturels de l’Algérie. Il le fera d’autant mieux qu’avec ses marges actuelles (et pour quelques années encore), il est entrain de rentabiliser rapidement ses investissements et pourra soutenir facilement une guerre de parts de marché en bradant ses prix dans le future.

Pendant ce temps là, que fait ou que compte faire l’Algérie devant ces sombres perspectives? Elle veut doubler sa consommation de gaz pour produire de l’électricité pour faire tourner les climatiseurs, se fâche avec tous ses clients en étant inflexible sur les prix et invente des taxes fiscales nouvelles rétroactives tout en invitant les sociétés étrangères à venir investir pour développer les hypothétiques gaz de schiste.Au lieu d’investir massivement dans les bonds de trésor américains à rendement réel nul voire négatif, elle aurait pu profiter des difficultéséconomiques des pays clients pour prendre des participations dans leurssociétés de distribution et ainsi garantir des débouchés pour son gaz.Mais pour cela, il aurait fallu une gouvernance et des décideurs responsables qui ne jouent pas à se neutraliser mutuellement et prennent des politiques et décisions à résultante nulle. Alors que les constructeurs des nouveaux méthaniers les sortent déjà avec des capacités de regazéification pour pouvoir livrer même les pays dépourvus de terminaux, chez nous on s’ingénie à chercher la trouvaille juridique qui permettra de prolonger encore de deux annéesla léthargie du pays. On pourrait remarquer que l’on sera alors en 2016,que cela coïncidera alors avec la fin du compte à rebours et que la boucle commencée en 1962 sera enfin bouclée : partir de zéro pour arriver au zéro…