Couverture des installations énergétiques en Algérie

Couverture des installations énergétiques en Algérie

Les réassureurs mondiaux en passe de revoir leurs tarifs

El Watan, 4 février 2013

Au moment où Sonatrach envisage de nouvelles mesures pour sécuriser ses installations énergétiques, les grands groupes mondiaux de la réassurance qui couvrent les deux tiers du risque énergie de la compagnie pétrolière nationale songent à assurer leurs arrières. Même si les responsables de Sonatrach assurent qu’il n’y a pas eu de gros dégâts sur le site d’In Amenas, et encore moins au niveau du gazoduc de Bouira, les assureurs internationaux prennent tout de même leurs dispositions.

«Il y aura sûrement un nouveau calcul des prix et primes de réassurances des installations énergétiques de Sonatrach», a indiqué à El Watan Economie Riccardo Fabiani, analyste politique, spécialiste de la région Afrique du Nord au sein du groupe Eurasia (groupe d’expertise et de recherche en risques politiques). «Le processus a déjà commencé et pourrait durer un à deux ans si les autorités algériennes arrivent à rétablir un niveau de sécurité d’avant l’attaque d’In Amenas.»

Selon M. Fabiani, qui dit avoir «eu des conversations avec des sociétés d’assurances» mondiales, celles-ci ont déjà engagé des «discussions en interne» pour envisager des actions qui pourraient toucher les futurs contrats de réassurance avec Sonatrach.Certes, dit-il, «elles savent globalement que la sécurité en Algérie n’est pas un problème, mais doivent se préparer en cas de danger qui résulterait de la crise au Mali». C’est dans ce cadre qu’elles «ont peur et prêtent une attention particulière à ce qui se passe en Algérie». En tout état de cause, on parle, selon lui, d’un effet de un à deux ans, après quoi «les primes d’assurances vont revenir graduellement au niveau d’avant» Tiguentourine. Youcef Benmicia, cadre dirigeant au sein de la Compagnie algérienne des assurances (CAAT), membre du groupement des assureurs nationaux de la Sonatrach, affirme que «les réassureurs risquent de relever les coûts de réassurances, par prudence, même s’il n’y pas eu de dommage subi au niveau de Tiguentourine».

Toutefois, il y a «un potentiel d’exposition au risque et si on constate un risque plus élevé, il est normal que les réassureurs prennent leur disposition». Généralement dans pareille situation, «les compagnies peuvent soit décider de maintenir les tarifs dans le meilleur des cas, soit les relever dans le pire des cas». En revanche, il ne risque pas d’y avoir «une diminution des prix, ce qui se produit parfois» quand il n’y a pas de grande sinistralité pendant une certaine période.

Le poids des réassureurs

Il faut savoir que la réassurance occupe une très grande place dans la couverture assurance de la Sonatrach. Il y a deux ans, l’ex P-DG de la Compagnie d’assurances des hydrocarbures (Cash), Nacer Sais, indiquait que «plus des deux tiers (70%) des risques Energie du groupe Sonatrach sont assurés par des sociétés d’assurance internationales, le reste étant couvert par un consortium de quatre assureurs algériens».

Environ «une vingtaine, voire une trentaine de réassureurs internationaux» interviennent dans les opérations de réassurances, impératives en raison du manque de capacités financières des assureurs nationaux pour couvrir l’ensemble du risque énergétique de Sonatrach. En 2010, la compagnie avait notamment retenu trois groupes internationaux de réassurance, Swiss Ré, Munich Ré et l’américain AIG, pour réassurer une partie de son patrimoine industriel pour un montant du contrat estimé à 30 millions de dollars. Au niveau national, l’assurance des installations énergétiques de Sonatrach est assurée par un consortium de compagnies nationales (CAAR, CAAT, SAA, CCR) dont le chef de file est la CASH.

La réassurance est justement l’une des «particularités» du secteur énergétique, souligne M. Benmicia, qui vient s’ajouter au fait que c’est un secteur où il «y a une concentration de valeur et de capitaux liés à une industrie de pointe». Les risques sont donc assurés à l’international où il y a un marché de l’énergie et de la pétrochimie en matière de réassurance, car ces réassureurs «ont des capacités financières importantes». «Les conditions ainsi que les prix d’assurance et de réassurance sont donc fixés par le marché international», précise le responsable de la CAAT. En ce qui concerne le patrimoine (industriel et immobilier) de Sonatrach, il bénéficie de plusieurs types de couvertures, mais «ce qui est réassuré, ce sont les installations énergétiques, l’activité forage et en partie la responsabilité civile».

Les prix sont également fixés «en fonction de la demande de couverture» et en la matière «les conditions édictées par les réassureurs sont parfois draconiennes (quand la conjoncture est défavorable)», remarque M. Benmicia. Les réassureurs peuvent «demander que les sites soient gardés par exemple». Cela dit, M. Fabiani estime qu’après les attaques d’In Amenas, «il serait difficile pour ces réassureurs d’exiger des conditions nouvelles, car elles savent qu’en Algérie les sociétés y opérant n’ont pas la possibilité de modifier les mesures de sécurité à leur guise. Leur marge de manœuvre est limitée par le fait que les autorités algériennes imposent des conditions strictes» en la matière.

Selon le PDG de la SAA, Amar Latrous, il existe «une couverture contre les conséquences des risques terroristes qui est proposée par toutes les compagnies d’assurance», au même titre que la couverture contre les risques de sabotage et contre «les émeutes et mouvements populaires», précise M. Benmicia. L’attaque terroriste d’In Amenas pourrait avoir une portée régionale quant aux conséquences sur les assurances. Selon M. Fabiani, en effet, les réévaluations des primes de risque pourraient également toucher «la Libye, où le risque est encore plus grand qu’en Algérie, la Tunisie où la montée des djihadistes inquiète les assureurs, ainsi que la Mauritanie, même si pour ces pays l’activité énergétique est moindre qu’en Algérie».
Safia Berkouk


Intérêts énergétiques des compagnies étrangères en Algérie

La vente d’actifs suite à l’attaque d’In Amenas jugée peu probable

Au-delà du relèvement des primes d’assurance, l’attaque d’In Amenas et plus récemment encore celle de Bouira, soulèvent des questions quant aux actions futures qui seront prises par les partenaires étrangers de Sonatrach en Algérie.

Certaines compagnies ont rapatrié quelques-uns de leurs personnels, tandis que d’autres ont confirmé leur volonté de poursuivre leurs affaires en Algérie. La nouvelle loi sur les hydrocarbures récemment promulguée étant plus avantageuse, certains experts pensent qu’aucune société étrangère en Algérie ne songera à se débarrasser de ses actifs algériens. Car, si l’on considère que le risque a augmenté, la valeur de ces actifs s’en trouverait de ce fait revue à la baisse, pense-t-on.
Riccardo Fabiani, analyste politique, spécialiste de la région Afrique du Nord au sein du groupe Eurasia (groupe d’expertise et de recherche en risques politiqus), confirme cette thèse, tout en relativisant certains aspects.

En premier lieu, «on peut imaginer que ce qui s’est passé à In Amenas soit la nouvelle réalité avec laquelle il faudra composer dans les prochaines semaines, en raison de ce qui se passe au Mali, mais je pense qu’il faut distinguer entre le Nord et le Sud de l’Algérie», dit-il. Certes, c’est le sud qui a été touché, mais cela reste «une exception car c’est une région très militarisée et même pendant les années de terrorisme elle n’a pas été affectée». «En revanche, explique-t-il, le Nord du pays est différent et la sécurité y est plus difficile et l’attaque contre le gazoduc de Bouira témoigne de cette difficulté et peut être un signe de ce que pourra être la tendance dans les prochains mois». En second lieu, et en conséquence, M. Fabiani pense «qu’il n’y aura pas de sociétés qui voudraient vendre leurs actifs en Algérie en raison de l’attaque terroriste. Certes, elles réduisent leur présence, mais cela va rentrer dans l’ordre dans quelques semaines».

Enfin, les compagnies qui souhaiteraient le faire et il y en avait quelques-unes avant l’attaque d’In Amenas, leur motivation était surtout liée à «leur stratégie de développement, aux coûts élevés ou encore parce qu’elles jugeaient que ces actifs n’étaient pas très rentables». Avec ce qui s’est passé à In Amenas, «il leur faudra réduire leur prix de cession si elles veulent vendre, car les investisseurs qui seraient intéressés pour acheter ces actifs vont demander désormais des prix révisés». Cette situation risque de durer au moins 1 an à 18 mois, selon certains analystes.
Safia Berkouk


 

Francis Perrin. Président de Stratégies et politiques énergétiques

«Les primes d’assurance vont évidemment augmenter»

M. Perrin est directeur de la rédaction de la revue Pétrole et Gaz Arabes et professeur en sciences économiques. Il nous explique dans cet entretien les implications de la récente attaque terroriste d’In Amenas sur Sonatrach, ses partenaires énergétiques ainsi que sa couverture assurance. L’expert évoque également la possibilité que certaines compagnies énergétiques asiatiques ou russes puissent prendre le relais dans le cas où les entreprises privées occidentales soient refroidies par le «risque» Algérie.

-En matière d’investissements sécuritaires et d’assurance des installations énergétiques, quelles seront les conséquences pour Sonatrach et ses partenaires étrangers ?

La perception par les investisseurs et les pays étrangers du risque politique associé à l’Algérie sera très probablement revue à la hausse, ce qui peut avoir un impact négatif sur des plans d’investissement ou d’implantation dans ce pays. De même, le coût de la sécurité va inévitablement augmenter car il faudra tirer toutes les conséquences de la tragédie d’In Amenas et prendre les mesures requises tout en sachant que le risque zéro n’existe pas, pas plus dans l’industrie des hydrocarbures qu’ailleurs. Les primes d’assurance vont évidemment augmenter. Ces impacts portent sur le court terme, voire sur le moyen terme. Je ne pense cependant pas que ce qui vient de se passer aura des conséquences à long terme sur l’Algérie, mais il faut que les réactions de l’Etat, de Sonatrach et de ses partenaires étrangers soient à la hauteur de l’enjeu.

-Pensez-vous que les firmes internationales opérant dans le secteur énergétique algérien vont songer à se délester de leurs actifs en Algérie dans les semaines ou les mois à venir ?

Je ne crois pas que des investisseurs étrangers installés, souvent de longue date, en Algérie et engagés dans des projets importants vont quitter le pays du seul fait de cette sanglante attaque et prise d’otages. Ces compagnies, dont Eni, Total, Repsol, BP, Anadarko Petroleum et d’autres encore vont renforcer leurs mesures de sécurité et diminuer le personnel non essentiel, mais vont continuer à travailler en Algérie. Certaines d’entre elles pourraient cependant hésiter, au moins à court terme, à renforcer leur implantation dans le pays sans abandonner les projets dans lesquels elles sont actuellement impliquées.

Les enjeux liés à la révision de la loi sur les hydrocarbures de 2005 telle que modifiée en 2006 et les succès ou les échecs dans l’exploration auront à mon sens un poids plus important que les problèmes sécuritaires dans les choix futurs de ces entreprises par rapport à d’éventuels nouveaux projets, comme le montrent les résultats moyens ou médiocres des appels d’offres internationaux pour l’exploration lancés depuis 2008.

Par contre, pour des compagnies pétrolières non présentes en Algérie et qui pourraient envisager d’investir dans ce pays, la donne est différente. L’attractivité d’un pays producteur d’hydrocarbures s’apprécie au regard de trois critères clés : le potentiel en pétrole et en gaz naturel, – et celui-ci est intéressant -, le cadre législatif, contractuel et fiscal, qui est en cours de modification dans un sens plus attrayant, et le risque politique, qui sera revu à la hausse. Une décision d’investissement en Algérie découle de l’appréciation par des groupes étrangers de ce cocktail et le goût de celui-ci sera différent avant et après In Amenas.

-En admettant que cela se produise, le retrait éventuel de certaines firmes pourrait-il favoriser d’autres pays comme la Chine, la Russie ou autres ?

Je ne crois pas vraiment au retrait des compagnies pétrolières de l’Algérie qui serait seulement lié à la tragédie d’In Amenas en dépit de l’extrême gravité de celle-ci. Mais il est exact que les compagnies pétrolières n’ont pas toutes le même profil en matière d’appréciation et de gestion des risques politiques. Pour simplifier quelque peu, des sociétés nationales de pays asiatiques tels que la Chine, l’Inde ou le Vietnam, par exemple, ou des firmes russes sont effectivement plus susceptibles de faire face à ce type de risques que des entreprises privées occidentales qui sont cotées en bourse et qui proviennent de pays dans lesquels le poids de l’opinion publique est très fort. Il ne faut cependant pas généraliser trop rapidement. Total et Eni sont ainsi présents de façon constante en Algérie depuis les années 1950…

-La promulgation d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures moins contraignante permettra-t-elle de limiter les dégâts pour l’Algérie ?

C’est un point-clé. La moindre attractivité de l’Algérie dans les dernières années s’explique essentiellement par des conditions contractuelles qui découlent de la loi sur les hydrocarbures, jugées trop dures par nombre d’investisseurs étrangers, ce que les autorités algériennes ont finalement reconnu en présentant un projet de loi modifiant la loi de 2005. L’Algérie conserve un potentiel d’exploration et de développement tout à fait intéressant pour le gaz naturel comme pour les liquides et pour les hydrocarbures conventionnels comme pour les non conventionnels. Comme l’a souligné le ministre de l’Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi, le pays a impérativement besoin d’investissements étrangers et il faut savoir attirer ceux-ci. Il ne s’agit pas de remettre en cause la souveraineté algérienne sur ses ressources naturelles, ni de dépouiller l’Etat de sa juste part, mais de trouver un nouvel équilibre entre les intérêts nationaux de l’Algérie et ceux des partenaires étrangers de Sonatrach dans un monde qui bouge de plus en plus vite et dans un contexte énergétique international qui subit certains bouleversements. Il ne faut pas avoir peur du pragmatisme et du compromis dans l’industrie des hydrocarbures.

Safia Berkouk