Séquestration géologique du dioxyde de carbonne

SÉQUESTRATION GÉOLOGIQUE DU DIOXYDE DE CARBONE

Un enjeu pour l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale

Par Dr Hocine Bensaâd, Le Soir d’Algérie, 15 mai 2013

Dioxyde de carbone

Le dioxyde de carbone (CO2) est un gaz présent naturellement dans l’atmosphère. Sa proportion, dans l’air que nous respirons, est de 0,03% environ. Il est très dispersé, comme le sont d’autres gaz, tels que l’hélium, l’argon, l’ozone… A cette faible concentration, il n’est pas toxique pour l’homme. Ce gaz est particulièrement présent dans le gaz naturel lors de son extraction dans les sites gaziers dans une proportion se situant entre 3 et 10%. Il est alors procédé à sa séparation et sa réduction à 0,3% pour que le gaz naturel obtenu soit commerçable. Le dioxyde de carbone (CO2), capté à son point d’émission, n’est pas rejeté dans l’atmosphère car c’est un gaz à effet de serre. Il est alors procédé à sa séquestration géologique qui est un processus technologique qui consiste à le comprimer puis à le transporter pour être injecté dans des formations géologiques préalablement choisies. Le dioxyde de carbone (CO2) est plus lourd que l’air. Il est asphyxiant quand il chasse l’oxygène et acide lorsqu’il est dissout. Toute fuite massive de grande quantité de CO2 dans une zone habitée peut avoir des conséquences humaines et écologiques immédiates graves et même mortelles (asphyxie immédiate des humains et des animaux). Dans certaines configurations de fuite et de relief, compte tenu de la vitesse et des directions prévalentes des vents, le CO2 d’une fuite pourrait se déployer en une chape de gaz irrespirable. Le risque de fuites diffuses n’est donc pas à exclure dans les puits d’injection qui ne seraient plus étanches à cause de défauts dans la réalisation, du défaut d’étanchéité des vannes de régulation du débit de gaz, de la dégradation du cuvelage et de la cimentation des puits suite au vieillissement des matériaux au contact du CO2, de la dégradation de l’étanchéité de la roche-couverture du gisement, de l’apparition de failles ou suite à des tremblements de terre.

Site gazier d’In Salah

Depuis 2004, une joint-venture comprenant trois compagnies pétrolières : Sonatrach, BP et StatoilHydro exploite le site gazier d’In Salah. C’est le plus grand site continental – on shore site (3 000 km2) d’expérimentation et de séquestration du CO2 en Afrique et dans le monde. Environ un million de tonnes par an de CO2 sont extraits, comprimés, transportés par pipe et injectés. Il est supervisé par le Joint Industry Project (JIP), associant les compagnies pétrolières BP (33,15%), Statoil (31,85%) et Sonatrach (35%). Ce JIP bénéficie d’un cofinancement de 30 millions de dollars du département de l’Energie des Etats-Unis (US DoE) et de la DG de la Recherche de l’UE dans le cadre du sixième Programme-cadre de recherche et développement européen (PCRD)(1, 2) Une société commune de marketing (A joint marketing company) est chargée de la vente du gaz produit. Toute la production, jusqu’en 2017, a déjà été vendue dans le cadre d’un contrat à long terme (3). C’est à Krechba (fig.1), près du site gazier d’In Salah, que trois puits horizontaux ont été forés pour injecter le CO2 capté. Dans son édition du 8 février 2010, le Quotidien d’Oran avait publié l’article d’Y. Merabet intitulé : Energie : Le nouveau Lobby «technologique» du captage et du stockage du CO2(4). Il attire l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics sur le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone ou séquestration du CO2 (CGS en anglais) et les conséquences qui viendraient à en découler. La même année, la revue The North Africa Journal(5) révélait que les compagnies pétrolières BP et Statoil le pratiquent depuis plus de 20 ans dans différents sites au Sahara. Ce sont en fait d’anciens puits de forages pétroliers abandonnés qui servent de stockage du CO2. Ils sont refermés puis abandonnés. Il s’avère qu’il n’existe aucune surveillance, ni monitoring, ni inspection, ni contrôle réguliers de ces puits comme cela s’opère dans les pays d’où sont originaires ces compagnies, chez qui le législateur a adopté une législation et une réglementation conformes aux différentes recommandations de l’Union européenne (6, 8). L’analyse à partir de 2010 des données sismiques et géo-mécaniques du réservoir de Krechba a abouti à la décision de suspendre en juin 2011 l’injection du CO2, suite à des fuites verticales dans la roche de couverture[9] dues au volume de CO2 injecté et à l’accumulation de la pression dans l’aquifère salin(10). Ces fuites font suite à celles déjà détectées en 2007. N’est-ce pas là l’objet de l’étude commandée au BRGM pour «évaluer l’impact d’une éventuelle fuite de CO2 sur le système aquifère du Sahara septentrional, immense réservoir d’eau douce souterraine qui alimente aujourd’hui trois pays (Tunisie, Libye, Algérie) et dont une partie est située à la verticale du gisement gazier(11)». Cela rappelle ce qui s’est produit en 2008 dans le site gazier de Sleipner en mer du Nord, exploité par la Compagnie Statoil qui extrait le CO2 d’un gisement de gaz naturel avec des solvants aminés et le réinjecte depuis 1996 à raison d’un million de tonnes de CO2 par an dans une formation saline. Ceci lui a permis d’économiser des millions d’euros de taxes-carbone. Cette installation comme celle de Snohvit(12) n’auraient pas pu exister sans la taxe carbone norvégienne de 50$ la tonne. Mais en avril 2008, une fuite fut découverte et l’expérience interrompue. La quantité de CO2 ainsi stockée depuis 1996 atteignait un total de près de 12 millions de tonnes. A la suite de cette découverte, la direction norvégienne du pétrole a changé sa description de la formation géologique utilisée de «pouvant stocker toutes les émissions européennes pendant des centaines d’années» en «pas très adaptée». Ces fuites en Algérie comme en Norvège viennent contester les déclarations péremptoires de Michael Mossman de BP et Mohamed Keddam de Sonatrach, respectivement président et vice-président de la joint-venture, sur la sûreté de ce procédé, déclarations faites à l’AFP lors de la visite du complexe d’In Salah le 15 décembre 2008 par des participants à la conférence de l’OPEP à Oran. Par ailleurs, l’Interférométrie satellite par radar aéroporté (InSAR) utilisée pour détecter et surveiller les changements subtils dans la déformation de surface provoquée par l’injection de CO2 a permis au Dr. Vasco du Lawrence Berkeley National Laboratory d’observer une élévation de la surface du sol de de 5mm par an sur des kilomètres . Il eut été intéressant de connaître les résultats des mesures de la station de référence du programme scientifique de la Veille de l’Atmosphère Globale (VAG) coordonné par l’OMM (Organisation météorologique mondiale) qui assure en continu depuis 1995, à Tamanrasset, les mesures de la concentration des gaz à effet de serre, comme le gaz carbonique et le méthane.

Cadre législatif et réglementaire

Le captage et le stockage géologique du CO2 sont pratiqués au Sahara à très grande échelle en dehors de tout cadre juridique spécifique au CO2 permettant d’assurer une gestion ordonnée et sécuritaire des ressources naturelles et du territoire et de préserver l’environnement et la nappe albienne principale source d’alimentation en eau de Tamanrasset, du Nord Sahara et très prochainement de nombreuse villes des Hauts-Plateaux. Le stockage géologique n’a été mentionné pour la première fois dans la législation algérienne qu’en 2013 dans l’article 18 alinéa 10 de la loi n°13-01 du 20 février 2013 modifiant et complétant la loi n°05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures. La création de deux «agences hydrocarbures»: l’Autorité de régulation des hydrocarbures et l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (ALNAFT) semblables à leurs sœurs ainées : l’Agence nationale de la géologie et du contrôle minier et l’Agence nationale du patrimoine minier, ont-elles les capacités de réaliser les objectifs qui leur sont assignés si le Conseil national de l’énergie n’a point été actif depuis quinze ans ? Comment ces deux «agences hydrocarbures» vont-elles prévenir la contamination des nappes phréatiques et des aquifères si le forage de Berkaoui dans la willaya de Ouargla, célèbre par l’immense effondrement qu’il a engendré, n’est ni un forage hydraulique ni un forage pétrolier converti en puits d’eau, mais un forage d’exploitation pétrolière qui, à cause de «manœuvres accidentelles» et une cimentation et un équipement inadéquats, a eu pour conséquences un effondrement important entraînant une salinisation des nappes supérieures mettant en danger l’existence même de l’oasis de Ouargla ? Par quels moyens ces deux «agences hydrocarbures» vont-elles pouvoir veiller au respect de l’utilisation des produits chimiques (article 13 alinéa 4 et article 17 alinéa 1 de la loi n° 13-01 du 20 février 2013 modifiant et complétant la loi n°05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures), notamment dans les opérations relatives aux hydrocarbures non conventionnels, alors que la composition de ces produits est frappée du sceau du secret par ses fabricants et fournisseurs principalement américains ? Comment l’Autorité de régulation des hydrocarbures va-t-elle veiller au respect de la réglementation relative au dioxyde de carbone (CO2) s’il n’existe aucune procédure spécifique d’application concernant sa séquestration ainsi que les moyens d’intervention au niveau des inspections de l’environnement ? De plus, le CO2 n’est pas considéré comme un déchet s’il est émis dans l’atmosphère, mais plutôt comme un rejet tel que stipulé dans le décret exécutif n°06- 138 du 15 avril 2006 réglementant l’émission dans l’atmosphère de gaz, fumées, vapeurs, particules liquides ou solides, ainsi que les conditions dans lesquelles s’exerce leur contrôle. Par contre, il le devient s’il est stocké dans le sous-sol. Il doit alors faire l’objet d’une autorisation. Celle-ci a bien été accordée. Etait-ce à l’initiative de l’Agence nationale de la géologie et du contrôle minier, de l’Agence nationale du patrimoine minier ou de Sonatrach. Le ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire a-t-il été au moins consulté ? Une telle décision prise par une institution étatique aboutit de facto à limiter la place du débat public et fait la part belle aux activités des sociétés pétrolières pour lesquelles les articles 101 et 109 de la loi n°13-01 du 20 février 2013, modifiant et complétant la loi n°05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures, laissent la porte ouverte à la poursuite de la séquestration du CO2 à In Salah et ailleurs ainsi qu’aux abus commis avant l’adoption de cette loi dans les forages abandonnés. C’est une échappatoire juridique pour éviter toute poursuite pénale sur une expérience qui se poursuit et que rien ne codifie alors qu’en Norvège, par exemple, Statoil se conforme à la réglementation de l’UE et de son pays et prend toutes les dispositions pour le monitoring du site de Sleipner où une fracture a été découverte récemment. Il faut remarquer qu’il n’y a eu aucune tentative d’amender ou de modifier le code minier de 2001 pour le rendre applicable au captage et stockage du CO2. Cet amendement est indispensable. Par contre, le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement a effectué un travail remarquable relatif à «l’élaboration de la stratégie et du plan d’action national des changements climatiques-mars 2001» où les gaz à effet de serre et particulièrement le dioxyde de carbone sont analysés et répertoriés par secteur d’activité. Cependant, il y a lieu de constater que lors de l’examen et de l’analyse des travaux de recherche effectués par BP et Statoil en Europe, au Japon et aux Etats-Unis et consacrés à la séquestration du CO2 dans le site gazier de In Salah depuis juin 2004 et publiés entre 2009 et 2011, exclusivement en anglais, il n’y a pas un seul laboratoire algérien impliqué, ni un quelconque chercheur algérien de mentionné ! Peut-on alors parler réellement de joint-venture, de partenariat gagnant-gagnant, de transfert de savoir et de savoir-faire ? Le site d’In Salah n’est-il pas devenu un immense laboratoire d’observation, d’essai et d’expérimentation de la séquestration du CO2 par des laboratoires dont les principaux pays sont membres de l’OTAN ? Des travaux similaires ne sont-ils pas menés à In Amenas et dans d’autres sites gaziers où Total et GDF Suez, en partenariat avec Sonatrach, comptent réaliser un projet de séquestration de CO2 dans les champs gaziers de Timimoune et Touat, en dehors de tout contrôle par des compétences algériennes puisqu’aucun laboratoire algérien n’est légitimement impliqué ? Par ailleurs, l’éligibilité des projets de séquestration de CO2 dans les gisements de gaz dans le mécanisme de développement propre, jusqu’ici non inclus dans le Protocole de Kyoto, permettra leur enregistrement auprès des Nations unies, accédant ainsi à la monétisation des quantités de CO2 injectées en vue de transactions sur le marché international des crédits carbone. La distribution des terres au Sahara pour le développement de l’agriculture et particulièrement le long du tracé du transfert de l’eau vers Tamanrasset ainsi que la présence de puits et forages abandonnés, ne vont-ils pas transformer en catimini le Sahara en une vaste poubelle des déchets des industries algérienne et européenne contre des crédits carbone ? Ne sommes-nous pas ainsi en droit de tirer la sonnette d’alarme pour nous prémunir contre des catastrophes anthropiques à venir? Il devient alors urgent de :
1- rédiger un code sur les sites de stockage géologique du dioxyde de carbone ;
2- définir à qui appartient le CO2 une fois enfoui. S’il n’est pas inerte, reste-t-il juridiquement un déchet, un déchet toxique ou un déchet dangereux ?
3- définir la responsabilité en cas de dommages futurs provoqués par le CO2 sur le vivant, la nappe albienne, la faune ou les écosystèmes, notamment dans les régions habitées ;
4- définir le niveau de précaution que l’État et les entreprises responsables ou concernées doivent prendre ;
5- adopter une stratégie définissant clairement les risques et les dangers que présentent l’exploration, l’exploitation et l’usage des gaz à effet de serre et notamment le CO2 ;
6- revoir et mettre à jour le code minier ainsi que le code sur le stockage et l’enfouissement des déchets ;
7- accorder une grande importance à la ressource humaine par la formation en qualité et en quantité de professionnels dans le domaine avec les équipements et les laboratoires nécessaires dans les centres de recherche et les universités ;
8- codifier et renforcer les mesures de prévention et de sécurité par une meilleure information des populations afin d’assurer leur protection et ainsi que celle de la préservation de l’intégrité du territoire. Ce sont là des mesures indispensables pour garantir la souveraineté et l’intégrité du territoire, protéger et préserver l’environnement et des écosystèmes, assurer la sûreté et la sécurité des personnes et des biens, maîtriser l’usage des produits chimiques et des déchets, résultats de l’exploration et de l’exploitation notamment du gaz de schiste très riche en CO2 et gaz toxiques.
H. B.
Expert, consultant en gestion et prévention des risques de catastrophe

Références
1. Wright I. W., Mathieson A. S., Riddiford F., Bishop, C. In Salah CO2 Storage JIP: Site Selection, Management, Field Development Plan and Monitoring Overview. Energy Procedia 00 (2010) 614–000
2. CO2 Technology Centre Mongstad Project (formerly European CO2 Technology Centre Mongstad Project). http://cslforum.org/projects/europeanco2tech.html
3. http://www.statoil.com/AnnualReport2008 /en/CountrySpotlight/Algeria/Pages/3-2-6-3-1_Algeria.aspx
4. Y. Merabet. Energie : Le nouveau Lobby «technologique» du captage et du stockage du CO2 Le Quotidien d’Oran du 8 février 2010.
5. http://www.north-africa.com/mobile/naj_economy/industries_markets/1noveleven45.html
6. Directive 2009/31/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2009
7. The new EU Directive on Geological Storage of CO2 from a Norwegian Perspective Lien
8. Statutory Instruments 2011 No.2305 Environmental Protection The Storage of Carbon Dioxide (Access to Infrastructure) Regulations 2011 http://www.legislation.gov.uk/uksi/2011/2305/made
9. In Salah Fact Sheet: Carbon Dioxide Capture and Storage Project. Lien
10. James Kanter, Obstacles to Capturing Carbon Gas. The International Herald Tribune August 1, 2011
11. En Algérie, étude de l’impact d’une éventuelle fuite de CO2 en contexte de stockage Lien