Gaspillage et corruption dans l’administration

GASPILLAGE ET CORRUPTION DANS L’ADMINISTRATION

La mise en garde d’Ouyahia

Le Soir d’Algérie, 20 juillet 2008

Ahmed Ouyahia a adressé aux membres de son gouvernement et à l’ensemble des institutions de l’Etat, une instruction visant à instaurer plus de rigueur dans la dépense des deniers publics. Dans ce cadre, le chef du gouvernement a instruit les services de sécurité, l’appareil judiciaire ainsi que les services de l’Inspection générale des finances (IGF) afin de lutter activement contre le gaspillage et la corruption.

Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – Dans cette instruction datée du 13 juillet 2008, le chef du gouvernement note, en guise de préambule, que la période actuelle est marquée par «d’importantes recettes pétrolières ayant permis à l’Etat d’améliorer ses ressources budgétaires ». «Cependant, cette situation a également généré dans les administrations publiques une mentalité de pays riches, entraînant une tendance regrettable aux dépassements dans la dépense publique, voire même à des comportements qui ne peuvent manquer d’être assimilés à du gaspillage pur et simple. Or, actuellement, le seul budget de fonctionnement de l’Etat représente 247% des recettes budgétaires hors de la fiscalité pétrolière (…) Cela est donc un motif supplémentaire pour rappeler aux différentes administrations publiques et démembrements de l’Etat l’impératif de la rigueur dans la dépense des deniers de l’Etat», précise Ahmed Ouyahia. Ce dernier indique que ces mesures ne sont «point une politique d’austérité», mais visent plutôt à sauvegarder «la crédibilité de l’Etat aux yeux de la population et à préserver les deniers publics des dépenses injustifiées».

Les ministres sommés de donner l’exemple

Dans ce cadre, Ahmed Ouyahia appelle chaque membre de son gouvernement à «donner l’exemple» et à faire preuve de «rigueur» dans la gestion des dépenses des services et organismes placés sous sa tutelle. «Les besoins nécessaires au bon fonctionnement des différentes administrations et institutions devront être couverts. Cependant, toute dépense excessive ou indue devra être bannie, y compris, par exemple, l’acquisition de véhicules de luxe pour les besoins des services et responsables de l’Etat.» Le chef du gouvernement est également décidé à mettre un holà au phénomène des séminaires, évènements onéreux et souvent inutiles. «Les conférences et séminaires organisés par les services de l’Etat ainsi que les prises en charge de manifestations diverses doivent également être réduits au minimum nécessaire. Il va de soit que cela ne saurait se faire au détriment de l’action gouvernementale, ni de la concrétisation des objectifs politiques du pays, y compris la promotion de l’identité et de la culture nationales. Cependant, les excès actuels, relevés par tous, doivent connaître un terme. De surcroît, cela libérera les responsables et cadres des différents services de l’Etat, pour qu’ils consacrent davantage leur temps à leurs missions respectives. Cette directive vaut également pour les organismes économiques publics.»

Opérateurs et fonctionnaires véreux

Le chef de l’exécutif compte également sévir pour mettre un terme à la corruption. Les collectivités locales sont ses premières cibles. «Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, à travers mesdames et messieurs les walis et, ces derniers, à travers les autorités locales placées sous leur responsabilité, doivent veiller davantage à l’exécution des programmes décentralisés et des budgets des communes, dans la rigueur et la probité les plus élevés. En effet, nul n’ignore, et les citoyens d’abord, la tendance aux conclusions de marchés par concussion, y compris sous couvert du besoin de changer des mobiliers publics encore valables ou de réfections répétées de voiries. Cela sert en fait de couverture à l’octroi de contrats à des opérateurs véreux par des fonctionnaires véreux également, au détriment du budget de l’Etat. Cela a également cours dans le cadre de la mise en œuvre, au niveau local, de la politique de solidarité nationale. L’Etat est déterminé à contenir ces dépassements et à leur mettre graduellement un terme, y compris en ordonnant, à partir du plus haut niveau, des enquêtes et des poursuites judiciaires», précise Ouyahia. Il est également décidé à imposer rigueur et vigilance dans le cadre de la réalisation des projets d’investissement de l’Etat. «L’exécution du programme public d’investissement doit, de la phase des appels d’offres à celle des réalisations, être entourée des garanties nécessaires pour barrer la voie aux partenaires véreux, aux intermédiaires prohibés et aux dérives passibles de la loi, de la part de responsables et agents publics corrompus. » Une «série d’instructions précises» sera émise dans ce cadre, note le chef du gouvernement.

L’Etat sur le pied de guerre

Pour mener à bien ce qui semble être une campagne de moralisation de la vie publique, Ahmed Ouyahia a mis sur le pied de guerre tous les services de contrôle et de coercition de l’Etat. A commencer par l’appareil judiciaire, la Gendarmerie nationale et la police. «Dans le cadre de ces instructions, je charge Monsieur le Ministre de la Justice, garde des Sceaux, d’instruire les parquets généraux et parquets de la République à accorder un intérêt accru aux affaires liées aux malversations financières et à l’atteinte aux deniers de l’Etat. J’ordonne également à Monsieur le Commandant de la Gendarmerie nationale et à Monsieur le Directeur général de la Sûreté nationale, d’instruire les corps placés sous leur autorité respective, à l’effet d’activer les brigades chargées des questions économiques et financières et de veiller à ce qu’elles assument leurs missions de manière plus dynamique. » De son côté, le ministère des Finances aura à intervenir à travers l’Inspection générale des finances (IGF). «Monsieur le Ministre des Finances est chargé d’instruire les contrôleurs financiers des différentes administrations et institutions publiques, centrales ou décentralisées, de veiller à la rigueur dans la dépense des crédits budgétaires, d’objecter à toutes dépenses excessives ou injustifiées et, le cas échéant, de la rejeter. Les gestionnaires des capitaux publics, à tous les niveaux, devront également veiller au respect de cette instruction. Le cas échéant, l’Inspection générale des finances sera requise pour enquête, avec les conséquences légales y afférentes. » Autre mission du département de Karim Djoudi : surveiller de très près les différents comptes d’affectation spéciale mis à la disposition des ministères. A ce titre, Ouyahia insiste sur le fait de «garantir l’usage des crédits qui y sont affectés pour les seules fins ayant motivé la création de ces comptes publics respectifs». En lançant cette guerre au gaspillage des deniers publics et à la corruption, Ahmed Ouyahia reconnaît, de facto, que la situation au sein des institutions publiques a atteint un stade de déliquescence avancé.
T. H.