Fonds souverains : Plus de risques que de gains ?

Fonds souverains : Plus de risques que de gains ?

par Mohamed Mehdi, Le Quotidien d’Oran, 8 juillet 2008

L’Algérie a-t-elle intérêt à créer un fonds souverain pour investir l’excédent des recettes pétrolières ? Les spécialistes, invités au Forum El Moudjahid pour débattre de la question, étaient presque unanimes sur l’importance des risques dans ce genre de placement, tout en s’interrogeant sur la capacité managériale de ceux qui seront appelés à gérer ces investissements et à assumer les conséquences des éventuelles pertes.

Le directeur général de la Bourse d’Alger, Ferfera Mustapha, a rappelé que les fonds souverains existent depuis le début des années 50. Le recours à ce genre de fonds s’est accentué ces dernières années, avec la flambée des prix du pétrole. Les plus en vue parmi les pays qui investissent le surplus de leurs recettes pétrolières dans des actifs financiers internationaux sont: la Chine, la Norvège, Singapour et les pays du Golfe. Ces fonds souverains (FS), explique le DG de la Bourse, «sont gérés par les Etats ou par les Banques centrales». Selon lui, la tendance actuelle des FS, c’est la «prise de risque» en souscrivant à des actifs d’entreprises cotées en Bourse, ce qui est le danger inhérent à ce genre de placements financiers.

M. Ferfera rappelle les pertes enregistrées par certains FS des pays du Golfe qui ont été touchés par la crise des subprimes aux Etats-Unis. Les FS représentent actuellement 1,3% des actifs financiers en circulation dans le monde. Ce taux est appelé à grimper à 15% dans les prochaines années, étant donné l’engouement pour ces fonds. Toutefois, rappelle-t-il, «des voix dans le monde se sont élevées pour dénoncer l’opacité dans la gestion de ces fonds». Certains ont même tenu à limiter ou refuser certains investissements entrant dans le cadre des FS.

C’est le cas, comme l’explique Djamel Djerrad, expert-comptable, des Etats-Unis et de la France qui ont eu à rejeter des propositions d’investissements. «Le gouvernement américain s’est opposé à l’acquisition de 12 ports US par le fonds d’Abu-Dhabi» en raison du «manque de transparence» de ce dernier. Pour les mêmes raisons, le fonds koweitien a également essuyé un refus de la part des autorités américaines en voulant acheter la firme AMD qui fabrique des microprocesseurs pour des ordinateurs PC, mais également pour les équipements de l’armée US, ajoute l’intervenant.

Autre exemple cité par M. Djerrad, c’est la vente en France du sidérurgiste Arcelor au géant indien Mittal Steel pour éviter, selon lui, d’être racheté par un fonds souverain russe. «Certains pays, dit-il, craignent que ces FS investissent dans des secteurs sensibles», voire qu’ils «obéissent à des considérations politiques».

Pour M. Djerrad, il serait plus intéressant pour l’Algérie d’investir dans le secteur productif, «au lieu d’aller au chevet des entreprises étrangères». D’autant, dit-il, que ces placements sont tellement risqués «qu’il va falloir se faire assister par des experts étrangers», ce qu’a fait la Libye en recourant à une banque suisse. Djamel Djerrad a également soulevé un point très important lié à la responsabilité de la gestion de ces investissements. «Si l’on crée des fonds souverains, qui sera responsable des éventuelles pertes de l’argent investi ?», a-t-il soutenu.

Abondant dans le même sens, Mme Inal Meriem estime que «l’Algérie a mieux fait en liquidant la dette extérieure que de réfléchir à créer des fonds souverains». Elle note que les FS perdent beaucoup d’argent dans des opérations risquées et que, de toute façon, «nous ne sommes pas en mesure de gérer de tels fonds», même si, précisera-t-elle plus tard, l’Algérie «dispose de compétences individuelles».

Les experts rappellent que les pays industrialisés, à l’image des USA et de la France, souhaitent élaborer un «code de bonne conduite» pour encadrer l’activité de ces fonds et éviter qu’ils ne deviennent des outils de puissance en acquérant des parts dans des entreprises importantes qui font tourner les Bourses mondiales.

Djamel Djerrad va plus loin en considérant qu’il est «hors de question de parier avec l’argent du peuple, juste pour apprendre à faire des placements».

Bien que pas assez développée, la question de la nécessité du contrôle parlementaire de l’usage de ces FS a également été évoquée. Qu’est-ce qui justifie des placements dans telle ou telle entreprise, de tel ou tel pays ? Quels sont les critères d’investissement ? Et quel contrôle parlementaire ? Des questions et d’autres restées sans réponse, une coupure d’électricité ayant écourté la rencontre. Non sans avoir eu le temps de prendre connaissance de l’exemple norvégien, considéré comme le «bon élève» dans le domaine, et où les responsables du FS sont tenus de présenter, une fois par an, un rapport détaillé devant le Parlement.