Énergies renouvelables : Toujours au stade de l’expérimentation

Énergies renouvelables : Toujours au stade de l’expérimentation

El Watan, 16 février 2018

Les rencontres autour des énergies renouvelables (ENR) se sont multipliées ces derniers temps.

Après la conférence de janvier, organisée à l’initiative de Sonatrach, Sonelgaz et du Forum des chefs d’entreprise (FCE), la Société algérienne des foires et exportations (Safex) a abrité cette semaine et durant trois jours, du 12 au 15 février, un salon dédié aux énergies renouvelables et à l’électricité. L’occasion pour les acteurs d’une filière naissante de se retrouver pour discuter et débattre autour des moyens à mettre en place pour développer les ENR dans une période où les projets se font toujours attendre.

Au total, 80 exposants, dont une vingtaine d’entreprises étrangères de différentes nationalités, entre fabricants d’équipements, distributeurs, bureaux d’études, fournisseurs d’électricité et installateurs ont participé à cette rencontre commerciale, la première du genre, dont l’objectif est justement de faire découvrir les nouveautés en matière d’équipements électriques domestiques et sensibiliser les usagers aux solutions énergétiques alternatives, surtout que la consommation d’énergie ne cesse d’augmenter, notamment durant les périodes de grandes chaleurs ou de grands froids.

La place est donc à la recherche des moyens permettant d’économiser et de rationaliser l’utilisation de l’énergie. Autrement dit, orienter la consommation vers l’économie d’énergie et vers moins de gaspillage. Or, cela s’avère difficile à assurer connaissant les tendances en matière de consommation en Algérie. Mais faudrait-il aussi commencer par produire de l’électricité à partir des énergies renouvelables.

Attentisme

Là, est le cœur du dossier. Or, sur ce point, même si le débat autour des énergies renouvelables revient régulièrement, les actions se font timides, voire absentes. On continue à parler de stratégie nationale de transition énergétique, parallèlement à la diversification de l’économie hors hydrocarbures. Or, que ce soit pour le premier dossier ou pour le deuxième, le pas reste à franchir.

Ainsi, sept ans après son élaboration et trois ans après avoir été placé comme priorité nationale, le programme national de développement des énergies renouvelables peine à démarrer. D’ailleurs, le méga-projet de 4000 mégawatts reste sans nouvelles. Certaines sources avancent même qu’il a été réduit de moitié.

De leur côté, les pouvoirs publics ne communiquent pas sur ce dossier maintenant ainsi une situation d’attentisme, voire de statu quo, comme c’est le cas pour d’autres dossiers économiques qui revêtent pourtant un caractère urgent. Des projets pour lesquels des conditions sont à assurer, à l’image de la formation et de la communication. Les experts le répètent régulièrement : «Il y a lieu de communiquer autour des énergies renouvelables et de préparer les compétences en jouant sur la formation.»

Et ce, pour dépasser le cap des expériences pilotes et passer à la réalisation. Akli Brihi, directeur général de Schneider Algérie, l’a d’ailleurs relevé lors du Salon sur les ENR et l’électricité : «Le programme algérien est très ambitieux, mais il faudrait passer à la phase de lancement et de réalisation.» Nachida Kasbadji Marzouk, directrice de recherche au Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), qui intervenait lors d’une conférence en marge dudit salon, a appelé à rattraper le retard dans ce domaine soulignant que l’Algérie est classée à la 18e place à l’échelle africaine en matière de capacités installées.

Un classement qui rappelle l’importance des efforts qui restent à faire dans ce cadre. En plus de la formation et de la communication, il y a lieu aussi de faciliter le climat des affaires dans ce segment tout en impliquant les secteurs de l’industrie, des transports et de l’habitat dans la promotion de ces énergies vertes. Mais aussi tout en lançant les investissements nécessaires.

Du côté de Sonatrach et Sonelgaz, l’engagement est pris d’associer le privé algérien sans toutefois que les choses ne soient clarifiées. «On va sûrement associer les investisseurs algériens dans les petits projets mais les grands seront accordés aux étrangers», nous dira à ce sujet un expert. Pourvu que ce feu vert soit donné pour mettre sur pied une industrie nationale en la matière.

A titre de rappel, les pouvoirs publics se sont fixés comme objectif de réaliser un gain financier de 42 milliards de dollars à l`horizon 2030 à travers la réduction de 9% de la consommation d`énergie, à la faveur de la mise en œuvre du programme national de développement de l`efficacité énergétique.

Au chapitre des ENR, ce programme devra permettre au pays de faire passer la capacité de production électrique à partir des énergies renouvelables à 22 000 MW d’ici 2030, soit 27% du bouquet énergétique, contre une contribution actuellement de l’ordre de 2%. Un chiffre insignifiant par rapport aux potentialités et aux défis énergétiques auxquels sera confrontée l’Algérie avec l’augmentation de la croissance interne et tous les risques sur ses engagements sur le marché international.
Samira Imadalou


Tewfik Hasni. Expert en transition énergétique

Il n’y a pas de stratégie précise pour les énergies renouvelables

– Quel bilan faites-vous du programme dédié aux énergies renouvelables (ENR) adopté et 2011 ?

Le programme datant de 2011 prévoyait 12 000 MW. Il a été revu en 2014 et porté à une capacité pour les besoins nationaux à 22 000 MW en excluant le solaire thermique. En fait, ce bilan est de moins de 0,1% en 15 ans. Le bilan ne peut être fait sur la base d’un mix d’énergies renouvelables seulement, tel que fixé dans le programme ci-dessus.

Le premier constat est qu’il n’y a pas de stratégie précise. Une véritable stratégie devrait partir d’un modèle de consommation pour aboutir à un mix énergétique lié à tous les éléments d’évaluation de ce modèle. Parmi ces paramètres, ce modèle devra être fait à partir d’une demande. D’abord, comment se structurent les usages ? L’électricité ne représente en fait que 30%. C’est la chaleur qui représente 70% de la consommation totale. La stratégie part du modèle de consommation énergétique défini sur un certain nombre de paramètres.

Nous avons estimé ce nombre à 10, dont : le coût, la sécurité énergétique, l’impact environnemental, la durabilité. L’intégration industrielle, la capacité d’absorption par le réseau de transport. Puis, il y aura l’évaluation des ressources nécessaires pour cela. La mise en œuvre viendrait ensuite après la définition des acteurs.

– L’appel d’offres concernant la production de 4000 MW d’électricité solaire se fait toujours attendre… Peut-on parler de recul à ce sujet ?

Je pense que vous sous-entendez le lancement d’appels d’offres pour la réalisation du programme de 4000 MW. Les raisons, invoquées par les entreprises pouvant manifester un intérêt, seraient que le financement d’un tel projet est important, près de 4 milliards de dollars. Les conditionnalités ajoutées, le financement serait totalement étranger. L’intégration industrielle des équipements solaires photovoltaïques est nécessaire.

Vous imaginez bien que les risques étaient trop importants. Le risque pays n’étant pas moindre, le risque marché pour l’électricité produite n’est pas précis. Le risque marché pour la fabrication des équipements est trop important. En effet, dans le photovoltaïque, l’évolution technologique est très rapide.

En une année, elle peut être suffisante pour rendre obsolète le produit qui sortirait de l’usine algérienne au bout des 3 années de sa construction. En plus, la taille du marché algérien est loin de viabiliser un projet de fabrication de cellules photovoltaïques. Il est illusoire donc de pouvoir en exporter une partie.

– Quel serait l’apport du privé national dans l’intégration des ENR dans le mix énergétique national ?

Le rôle du privé peut être important pour les technologies à faible évolution technologique, comme le solaire thermique. Les équipements sont faits principalement à partir de verre plat, déjà fabriqué en Algérie. On peut intégrer 70% des équipements. Pour le photovoltaïque, ce taux ne dépassera pas les 40%. Ce sont principalement l’encapsulation des cellules et le montage des panneaux.

– Quid du coût avec l’évolution des technologies ?

Les coûts ne sont pas faciles à comparer car tout n’est pas égal. En effet, les rendements des différentes technologies sont très différents. Pour le solaire thermique et le solaire photovoltaïque, le rapport des rendements fait que la thermique a un rendement 3 fois plus important que le photovoltaïque.

Le solaire thermique peut bénéficier de l’effet d’échelle, le photovoltaïque ne le peut pas. Le photovoltaïque souffre d’intermittence, cela veut dire qu’il ne produit d’électricité que lorsqu’il y a de la lumière et l’électricité n’est pas encore stockable. Le solaire thermique peut être stocké et ainsi couvrir jusqu’à 24 heures par jour.

En plus avec près de 13 heures de stockage, les derniers projets aux Emirats atteignent une capacité de 700 MW, bénéficiant de l’économie d’échelle, tout en proposant un coût de 7 centimes de dollar/KWh. C’est moins cher que les énergies fossiles et le nucléaire. En ce qui nous concerne, la solution algérienne est un mix solaire thermique, solaire photovoltaïque hybridé avec du gaz torché. Notre potentiel solaire est le plus grand de tout le bassin méditerranéen. Le potentiel éolien lui est trop bas.
Samira Imadalou