Intelligence et espionnage économiques : Quand les secrets d’Etat se vendent aux enchères

Intelligence et espionnage économiques : Quand les secrets d’Etat se vendent aux enchères

El Watan, 1er août 2010

L’Algérie des pétrodollars, des gros marchés à budgets vertigineux, des programmes de développement dont les cagnottes successives se chiffrent en centaines de milliards de dollars est devenue un terrain de chasse pour espions sophistiqués à la solde des Etats, groupes d’intérêt, multinationales et sociétés étrangères. Ce n’est pas du délire paranoïaque. Pour l’expert Mohamed Bahloul, directeur de l’Institut de développement des ressources humaines (IDRH), l’Algérie est bel et bien entrée dans le cercle d’intérêts primordiaux de plusieurs Etats et cartels économiques.

La surface financière dont dispose le pays, son pouvoir d’achat, ses importants programmes d’investissement, sa boulimie pour les biens d’équipement et de consommation font d’elle (l’Algérie) une cible privilégiée », dit-il. Toutes les entreprises au niveau international, même les Etats, explique l’expert, développent la connaissance de l’environnement économique et institutionnel de l’Algérie. « C’est un élément-clé de leurs stratégies de pénétration du marché. » Dans le contexte actuel, souligne un ancien colonel du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), la politique de l’espionnage en direction de l’Algérie revêt deux aspects essentiels : « En premier, l’aspect d’intérêt stratégique : on cherche à connaître le potentiel économique de l’Algérie, le processus suivant lequel les décisions économiques se prennent. Compte tenu de la position stratégique de l’Algérie dans la région, de sa position notamment vis-à-vis de l’Union européenne, ces éléments sont déterminants pour prétendre exercer une quelconque influence. Le deuxième aspect est d’ordre commercial. Prosaïque. Il s’agit de rechercher et d’exploiter l’information commerciale pour s’implanter, rafler des marchés ou augmenter ses parts de marché dans l’économie nationale. » Ciblée et sans grand potentiel de défense. Dans une économie mondialisée, où l’information et le renseignement économiques sont le véritable nerf de la guerre économique, les données en rapport avec l’économie nationale s’exposent aux quatre vents.

Dernière affaire en date, exhalant à mille lieues à la ronde, l’intelligence économique au profit de groupes d’intérêt étrangers, l’affaire Strategica Finance, cabinet de conseil en management et ingénierie financière créé en 2001 par Lachemi Siagh et rétrocédé à Deutsch Bank en 2008. En juin dernier, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, prend une mesure surprenante : une circulaire adressée à l’ensemble des entreprises, établissements et banques publiques prohibant « toute relation d’affaires avec le cabinet d’études Strategica et Lachemi Siagh ». Motif invoqué : « Le bureau d’études (Strategica), à travers ses différentes activités (position quasi monopolistique sur le marché de l’emprunt obligataire, ndlr), s’est constitué une importante banque de données tant sur le secteur financier national que sur des entreprises publiques stratégiques, données pour lesquelles il ne fait guère preuve de réserves dans ses relations avec les milieux économiques étrangers. » Sur la place d’Alger, combien sont-elles les Strategica à œuvrer dans l’ombre, à constituer, souvent en toute légalité, de précieuses banques de données sur l’économie algérienne. Lobbying, trafic d’influence… ce sont les nouveaux apôtres de l’intelligence économique, des guerriers en col blanc émargeant pour le compte de puissances économiques étrangères.

Les nouveaux apôtres de l’espionnage

Cabinets de consulting et d’audit, agences de communication, cabinets de certification… Ces organismes concentrent une manne d’informations unique sur l’état de santé des entreprises algériennes, banques, assurances… Un ancien collaborateur au sein d’une agence de communication étrangère ayant pignon sur rue à Alger révèle l’existence d’un véritable « marché » de l’information et du renseignement économiques. La veille concurrentielle, procédure légale consistant à capter toute information publiée ou diffusée sur un ou plusieurs concurrents, est très souvent prise à défaut. Outrepassée. Certaines agences, dit-il, n’hésitent plus à espionner au profit de leurs clients : achat de documents officiels à l’importance stratégique liés aux marchés publics – cahiers des charges, rapports de la Banque centrale, etc. Lire également : http://www.elwatan.com/Les-nouveau-mercenaires-de-la-com. « La nature a horreur du vide », commente l’officier supérieur du Renseignement. « La méthode classique qui consiste en l’envoi d’agents pour espionner sur site ou tirer profit de la présence, dans les ambassades, d’attachés militaires qui faisaient autrefois ce boulot, n’est plus d’actualité. Ce sont désormais ces canaux parallèles, notamment les bureaux de consulting étrangers installés en Algérie, qui servent à collecter des informations. Le contraire serait vraiment étonnant », ajoute-t-il. Arbre qui cache la forêt, Strategica vient s’ajouter aux nombreux autres scandales politico-financiers (affaires BRC, Sonatrach, autoroute Est-Ouest, etc.), flairant la grosse corruption et l’intelligence avec des intérêts étrangers. Les auditions des mis en cause par le DRS – ce n’est certainement pas un hasard si les services de renseignement algériens se sont saisis de ces affaires portant atteinte à la sécurité nationale – mettent à nu l’implication de hauts cadres algériens dans la divulgation d’informations économiques d’une importance de premier ordre. 10 décembre 2009. El Watan révèle les conditions sulfureuses suivant lesquelles des marchés publics, et pas des moindres, ont été attribués. Le directeur de la planification au ministère des Transports (sous mandat de dépôt) a été épinglé par le DRS pour avoir, entre autres, « vendu » à des sociétés étrangères de précieuses informations sur les marchés en question et sur les entreprises en lice. Contre paiement de commissions négociées par l’intermédiaire d’un homme d’affaires algérien, des entreprises françaises (Alstom, Sncf, Razel, etc.), italiennes (Astaldi, Impreglio, Pizzaroti), portugaises, suisses, espagnoles ont pu ainsi rafler de gros marchés dans le secteur des transports, dont les projets de tramway de Constantine (34 milliards de dinars), d’Oran (38 milliards de dinars), de la ligne ferroviaire rapide (LGV 123). Et ce n’est là qu’un cas parmi tant d’autres. Abdelaziz Rahabi, diplomate, ancien ministre, ne cache pas son inquiétude devant la saignée qui affecte les secrets d’Etat.

Secrets économiques : la grande braderie

Beaucoup assimilent, d’après lui, l’ouverture économique à du « strip-tease ». « Nous sommes, dit-il, l’un des rares pays au monde à ne pas avoir un système national de protection des documents officiels. Au lieu que l’information soit la propriété de l’Etat, de la mémoire, au lieu qu’elle participe à la formation de l’opinion et de la décision chez les décideurs, elle est devenue un outil de chantage, de pression, de marchandage. Des documents sensibles, confidentiels, secrets, des documents propriété du gouvernement se baladent dans les serviettes des fonctionnaires, dans les banques étrangères, dans les bureaux de conseil étrangers (…). » « Il faut penser dès maintenant, ajoute l’ancien membre du gouvernement, à intégrer l’information économique dans les priorités de la sécurité nationale. Nous avons des atouts économiques à préserver, une cagnotte qui nous permet, entre autres, de choisir nous-mêmes nos partenaires stratégiques. Pourquoi nous n’avons pas protégé notre système national d’information ? Pourquoi n’y a-t-il pas de loi qui classifie et codifie l’accès aux documents officiels (…) ? » M. Rahabi déplore que « le gouvernement et le DRS n’aient réalisé que tardivement le caractère stratégique de l’information économique ». En matière de protection des données de l’économie nationale, avoue le colonel du DRS, il existe une « défaillance dans le système » et un « grave recul en matière d’intelligence économique ». « Que ce soit dans le sens offensif : le recueil de l’information à l’étranger pour les besoins du développement national ou, inversement, pour la défense de l’économie, l’Etat s’est montré défaillant. Une politique d’intelligence économique se conduit, certes, avec des mesures techniques, mais se conduit essentiellement par une volonté politique appuyée sur une adhésion populaire », a-t-il ajouté. Ce qui se passe actuellement à Sonatrach prouve, selon lui, qu’il n’y a plus de « souveraineté » ni de « sécurité énergétique ». « Ce à quoi nous assistons, conclut-il, n’est rien d’autre que le reflet de la grande coupure entre la société et les pouvoirs publics. La société ne se reconnaît plus dans le mode de gouvernance, c’est pour ça qu’elle s’en fout de ce qui se passe. »

Par Mohand Aziri


Quand la DGSE « dynamitait » l’empire Khalifa

Il a suffi de quelques notes confidentielles et « alarmistes » de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour que l’empire Khalifa s’effondre tel un château de cartes. C’était en octobre 2002.

Le contenu de ces notes traitait essentiellement de la santé financière de Khalifa Airway,s qu’elles vouaient à une « faillite » quasi inéluctable. Les documents de la DGSE, commentés en long et en large par plusieurs titres français, estimaient le montant des pertes de l’« empire » Khalifa à 500 millions d’euros par an. « Les financements et passe-droits dont profite Khalifa pour asseoir sa stratégie de croissance, alors même que les avis, répétés d’experts du transport aérien lui prédisaient une faillite prochaine, laissent perplexes (…). Le maintien en vie et même la bonne santé apparente du groupe ne peuvent donc s’expliquer que par un soutien financier extérieur et/ou par des activités autres que celles officiellement mentionnées (…) Le groupe ne compte que sept actionnaires, tous issus de la famille Khalifa. Ces derniers ne disposent cependant pas de la réalité du pouvoir et ne servent que de prête-noms », précisait le document du gouvernement français. Toutefois, le premier coup de semonce a été donné, le 27 septembre de la même année, par Noël Mamère. De Abdelmoumène Khalifa, le PDG du groupe, le député-maire de Bègles disait qu’il était « l’allié des généraux algériens avec lesquels il a fait sa fortune, allié du pouvoir algérien qui contribue à la barbarie, qui assassine et torture ». N. Mamère, personnalité politique française proche, dit-on, des Services français, était parti bien plus tôt en croisade contre l’empire Khalifa, dont plusieurs filiales ont été créées en France. Le 29 octobre 2002, le député a introduit à l’Assemblée française une demande d’enquête sur l’origine des fonds du groupe algérien et leur utilisation en France. Le 4 mars 2003, il demande une autre commission d’enquête sur les conditions d’attribution d’une fréquence à la chaîne Khalifa TV. Jusque-là, le gouvernement algérien n’avait rien vu, ou faisait seulement semblant de ne pas voir l’une des plus grosses arnaques dont étaient victimes les Algériens. Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, ne tardera pas à prendre la décision de geler les avoirs et les transferts de Khalifa à l’étranger, décision synonyme de la liquidation pure et simple du groupe.

Par Mohand Aziri


Mossad, CIA, FBI, DGSE… : L’Algérie sur table d’écoute

Alger a-t-elle troqué sa réputation de « Mecque des révolutionnaires » pour celle, sans gloire, de plaque tournante des agences et centrales de renseignement étrangères ?

L’Algérie espionnée ? Certainement. C’est même un secret de Polichinelle. Très souvent, elle est espionnée « à l’insu de son plein gré ». En janvier 2009 éclate au grand jour l’affaire Andrew Warren. Les Algériens apprennent, médusés, l’existence d’une « antenne officielle » de la CIA à Alger, dont Warren, accusé aux Etats-Unis de viol sur deux Algériennes, était le patron. Le « number one ». Si les rumeurs persistantes faisant état de l’existence d’une base d’écoute de la CIA et d’une présence militaire américaine dans le Sud n’ont jamais fait l’objet d’un démenti catégorique, le « scandale Andrew Warren » a vite fait sortir l’ex-puissant ministre de l’Intérieur de son mutisme. Le 19 février, Noureddine Yazid Zerhouni annonçait qu’une « enquête » ciblait désormais l’espion US dont les actes (viols) pouvaient être ceux d’un « pervers », a-t-il dit, ou ceux d’un agent « recruteur » pour le compte la Central Intelligence Agency. « On ne sait pas si ces actes ont été commis par un pervers ou s’il s’agit d’un moyen pour faire pression sur les ressortissants étrangers (les deux Algériennes seraient, selon lui, des binationales, ndlr) à des fins de recrutement », déclarait le ministre-colonel, ancien « n°2 » des « services » algériens. Pas un mot sur cette fumeuse « antenne de la CIA » qui passe pour une « presque évidence » dans le landerneau algérois. « Ce sont des usages et des pratiques courantes, connues et admises dans les relations internationales », commente un ancien haut responsable. Si pour la Cia et le FBI, leur présence est officiellement agréée à Alger, la question de savoir quels sont les autres services de renseignement à bénéficier d’un statut équivalent coule de source. Qu’en est-il de la DGSE, du SIS (GB), du Mossad, des Moukhabarate égyptiens, de la DGST, de la DGED de sa majesté Mohammed VI, du CSIS chinois ? Secret par nature, le monde glauque et impénétrable de l’espionnage et du contre-espionnage ne déborde pas moins l’actualité nationale. Plusieurs affaires d’espionnage ont été révélées, ces dernières années, par la presse nationale.

Dernière en date, l’affaire de l’espion du Mossad « disparu » en Algérie. Nombre de canards nationaux en ont fait l’écho, reprenant le quotidien israélien Yediot Ahronot. Celui-ci révéla, dans sa livraison du 26 mars dernier, qu’un « touriste » israélien, entré légalement en Algérie avec un passeport espagnol, n’avait plus donné de signe de vie. « L’homme disparu aurait contacté sa famille avant sa disparition, il y a une semaine, en leur annonçant qu’il va bien et qu’il a été arrêté par les services de sécurité algériens et interrogé sur le but de son entrée en Algérie », a écrit le quotidien israélien. Le Mossad en Algérie, rien d’étonnant pour un pays qui fait du soutien à la cause palestinienne une « affaire d’Etat ». Des Algériens roulant pour les services israéliens ? Le fait n’a aussi rien de très surprenant. Le 7 juillet 2007, le tribunal de Tizou Ouzou condamne à 10 ans de prison ferme « l’agent algérien du Mossad » S. Sahnoune. Arrêté au Maroc en 2005, remis aux services algériens, Sahnoune, 44 ans, affirmant avoir été « journaliste dans plusieurs pays africains, dont le Bénin », avant d’atterrir à l’ambassade d’Espagne à Alger comme « chargé de communication », a « reconnu » être membre d’un « vaste réseau d’espions arabes » pour le compte du Mossad. Il aurait été « recruté » à Bangkok en 1996, formé à l’espionnage à Tel-Avis. Sa mission ? « Collecter des informations sur la sous-région du Maghreb et les pays africains » moyennant un salaire mensuel de 1500 dollars. Les démêlés du Mossad avec l’Algérie (ou plutôt le contraire) n’en sont qu’à leurs balbutiements. En septembre 2009, le magazine américain Times révélait, quant à lui, que le commando pirate du cargo russe Arctic Sea – dont la cargaison, du bois, destinée à être livrée au port de Béjaïa – était du Mossad. D’après le Times, un haut fonctionnaire dans l’Union européenne, Tarmo Kouts, ancien chef de l’armée estonienne, rapporteur de l’UE sur la piraterie, a déclaré que le navire russe « qui a été enlevé dans des circonstances mystérieuses à la fin de juillet et récupéré par la marine russe à la mi-août (au large des côtes de Cap Farda, dans l’océan Atlantique), a été détourné par l’entité sioniste ou par des forces israéliennes spéciales ». Motif : l’Arctic Sea aurait transporté des missiles Cruze-x 55 destinés à l’Iran ou à la Syrie. Les agents de la CIA, du Mossad et de la DGSE ne sont toutefois pas les seuls à investir les pays d’Afrique du Nord et, récemment, ceux du Sahel (affaire de l’otage français Pierre Camatt), « ventre mou » de la région, nouvel « arc stratégique » des services d’espionnage occidentaux. Les Moukhabarate égyptiens se mettent aussi de la partie.

Moukhabarate égyptiens

En novembre 2009, en pleine crise algéro-égyptienne, des journaux algériens faisaient état de l’arrestation d’un espion égyptien à l’ouest du pays. Arrêté le 24 octobre 2008, Mohamed Ibrahim, alias Mohamed El Iskandarani El Ghaouas, 24 ans, a été condamné par le tribunal d’Oran à 15 ans de prison ferme. Employé comme soudeur pour le compte de la SAPSI, société égyptienne de maintenance de matériels pétroliers, El Iskandarani avait pris des clichés de l’infrastructures stratégiques de la zone industrielle d’Arzew et de Béjaïa. Sa « complice », une Algérienne de Sétif, chargée d’expédier les colis et les CD-Rom en Egypte, écope de dix ans de prison ferme. Autre affaire, révélée en mai dernier par la presse égyptienne (le quotidien El Wafd), impliquant non du menu fretin mais du gros poisson. Amr Moussa, l’actuel secrétaire général de la Ligue arabe, aurait espionné, en 1991, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères égyptien, le programme nucléaire algérien. Des informations qui auraient ensuite été livrées par les Moukhabarate à l’Administration US. Le journal égyptien se réfère à un document secret de l’Administration américaine qui révèle le contenu des discussions entre Richard A. Clarke, ministre adjoint du secrétaire d’Etat chargé des Affaires politiques et militaires à l’époque, lors de sa visite au Caire, au mois de mai 1991, et sa rencontre avec le ministre égyptien des Affaires étrangères à l’époque. Le 5 mai, Amr Moussa convoque une conférence de presse dans laquelle il niera en bloc l’accusation portée contre lui. « Ce qui a été rapporté n’est rien d’autre qu’une allégation », avait-il déclaré.

Par Mohand Aziri


BRC : Des mallettes de commandement connectées à la CIA

Le 26 novembre 2007, au tribunal militaire de Blida, furent jugés à huis clos le PDG de BRC, Moumen Ould Kaddour, un lieutenant du service d’écoute, Chettouh Mahdi et un civil, Adel Miloud, pour « divulgation d’informations classées secret-défense ».

Le premier écopera de 30 mois de prison (remis en liberté), alors que l’officier des Services est condamné à 5 ans ferme. L’affaire est enrôlée et expédiée en deux temps, trois mouvements. Toutefois, tout n’a pas encore été dit autour de cette sombre affaire inspirée d’un roman d’espionnage. Il s’agirait de l’enregistrement d’une conversation téléphonique que le lieutenant des écoutes aurait téléchargé sur un flash disc remis à A. Miloud qui l’a transmis à son tour au PDG de BRC. Le contenu de l’enregistrement garde tout son mystère. En instance de jugement au tribunal de Bir Mourad Raïs, l’affaire Brown Roots and Condor (BRC), joint-venture algéro-américaine – KBR, filiale Halliburton, dirigée par Dick Cheney, est actionnaire majoritaire – fait figure d’un des plus gros scandales politico-financiers de l’Algérie indépendante où espionnage et corruption massive font bon ménage.

BRC, véritable machine à cash, a bénéficié d’un nombre considérable de contrats de gré à gré avec Sonatrach (dont le plus important est le méga-contrat El Merkh de 5 milliards de dollars) et surtout avec l’armée (ANP). BRC obtient la réalisation en EPC (Engineering, Procrument and Construction) de 5 hôpitaux militaires, dont ceux de Constantine et d’Oran, plusieurs bases militaires d’aviation, la construction du siège de la DGSN et un centre de criminologie pour la Gendarmerie nationale à Alger. Dans une interview au journal on-line Le Maghrébin, Hocine Malti, expert pétrolier, un des membres fondateurs de Sonatrach, affirme que BRC n’était pas seulement une source d’enrichissement pour les Américains, mais aussi une « source de renseignements et de collecte d’informations » sur l’industrie pétrolière algérienne. « Cette société intervient dans des secteurs stratégiques tels que l’industrie pétrolière et la défense, elle a automatiquement connaissance de tout ce qui se passe dans les pays où elle intervient (…). » Le clou de l’affaire est sans doute cette fumeuse affaire de mallettes de commandement, matériel sophistiqué de communication fourni par BRC à l’état-major de l’ANP. Plusieurs sources prétendent que les services de renseignement militaire russes (GRU) auraient alerté le commandement de l’armée sur la mise sous écoute du matériel en question. Les « valises de commandement » censées « sécuriser » les communications militaires seraient « connectées » en permanence aux systèmes d’intelligence électronique américains et israéliens. Pour Hocine Malti, il s’agit là d’un « scandale tellement énorme qu’il est impossible à étouffer (…). Encore une fois, lorsque les choses en arrivent à ce point, un fusible doit sauter ; cette personne est toute désignée : c’est le directeur général (de BRC) qu’on accuse d’intelligence avec l’étranger ». Cette « intelligence » est ailleurs, ce n’est pas lui qui a ordonné l’achat de ces mallettes de commandement, la commande vient de l’armée, « c’est probablement un très haut gradé de l’armée qui lui a donné instruction de passer commande ».

Par Mohand Aziri


Autoroute Est-Ouest : des pots-de-vin et des lobbies

Ni route de la soie ni route des épices. L’autoroute Est-Ouest, avec ses 11 milliards de dollars de budget, est sans conteste celle des pots-de-vin.

La cagnotte astronomique dégagée sur les fonds publics pour l’exécution de ce grand projet, le « projet du siècle », a aiguisé bien des appétits. Des appétits voraces, nationaux et étrangers. En plus des mirobolantes commissions payées via des sociétés-écrans – basées en Autriche et à Singapour –, des gratifications en tout genre, des privilèges en nature, l’achat et la location de villas et appartements… Certaines sociétés étrangères engagées pour la réalisation des tronçons de l’autoroute Est-Ouest – c’est le cas notamment de la société chinoise – ont même constitué des « cellules de veille » à l’étranger dont la mission première est de collecter toute information en rapport avec le marché de l’autoroute.

C’est ce qu’a révélé, entre autres, l’ex-officier supérieur de l’armée, Mohamed Kheladi, directeur des nouveaux projets à l’Agence nationale des autoroutes (ANA), sous mandat de dépôt. Devant le juge d’instruction de la 9e chambre du tribunal de Sidi M’hamed, Kheladi, l’homme par qui le scandale a éclaté, a déclaré qu’un réseau de personnalités influentes avait été constitué en 2005, un lobby chargé de mettre sous coupe réglée le marché de l’autoroute Est-Ouest. Le trafiquant d’armes français Pierre Falcone serait à la tête de ce réseau. De hauts responsables algériens, dont un ancien ministre, des hommes d’affaires véreux, un colonel du DRS, un général de l’armée… en feraient également partie.

Par Mohand Aziri