Club des Pins : une résidence d’État devenue un symbole de prédation et de gaspillage

Club des Pins : une résidence d’État devenue un symbole de prédation et de gaspillage

Hadjer Guenanfa, TSA, 06 Juil. 2017

La gestion du Club des pins revient encore une fois sur le devant de la scène. Lundi, les députés du RCD ont publié un texte appelant à la création d’une commission d’enquête sur cette résidence d’État. Le parti a expliqué que la commission devrait faire notamment un « état des lieux des occupants des infrastructures de l’Epic », « préciser les conditions et les modalités d’accès à une résidence permanente » et « les conditions d’accès aux infrastructures et lieux de plaisance, comme les plages ».

Le RCD n’est pas le premier parti à soulever cette question. En 2015, des députés du FLN, dont Lyes Saadi, avaient exigé une commission d’enquête parlementaire sur les résidences d’État du Sahel. L’initiative de ces élus de l’ex-parti unique, qui n’a pas abouti, avait également pour objectif de « mettre toute la lumière sur la gestion des résidences d’État » notamment en recensent les infrastructures dépendantes et « l’argent qu’elles procurent à l’État ».

Depuis plusieurs années, la résidence d’État du Sahel nourrit fantasmes, rumeurs, approximations et maintes interrogations. Que comprend la résidence d’État du Sahel ? Où se trouve-t-elle ? Pourquoi a-t-elle été créée ? Par qui est-elle gérée ? Comment est-elle financée ? Qui sont les personnes ou les responsables autorisées à y habiter ? Le Premier ministre ? Les ministres ? Les cadres de l’armée ? Pourquoi les citoyens sont-ils interdits d’y accéder ?…

Tout commence par un décret de Belaïd Abdesselam…

Située sur la côte-ouest d’Alger dans la commune de Staouali, la résidence d’État du Sahel comprend plusieurs structures : le Club des Pins, composée d’un ensemble de villas et de chalets, est le lieu de résidence des ministres en exercice et d’autres hauts responsables de l’État ; une nouvelle et très luxueuse résidence a été achevée il y a près de sept ans mais demeure fermée et un autre ensemble villas (Moretti) occupées par des personnalités. Dans le même périmètre plusieurs infrastructures ont été créées ces dernières années notamment le nouveau Centre international des conférences.

La résidence d’État du Sahel a été créée en décembre 1992 par un décret exécutif signé par Belaïd Abdesselam qui était alors chef du gouvernement. « Est distrait du patrimoine de l’entreprise de gestion du centre touristique du Club des pins situé sur la commune de Staouali wilaya de Tipaza l’ensemble immobilier désigné à l’article 2 ci-dessous et destiné à constituer une résidence d’État », stipule le premier article du texte.

Cet ensemble immobilier comprend une « assiette foncière d’une superficie de 36 ha 80 ares », selon l’article 2 qui ajoute que ce terrain est « classé dans le domaine public de l’État et affecté aux services du chef du gouvernement ». L’article 3 précise que les logements peuvent être « mis à la disposition, à titre gratuit et temporaire, de personnalités dont les hautes fonctions ou activités comportent des sujétions particulières ».

Les années de terrorisme

La création de cette résidence d’État coïncidait donc avec le début de la décennie noire du terrorisme qui a fait des dizaines de milliers de victimes. Ce lieu ultra-sécurisé devait hébergeait les hauts responsables de l’État pour les protéger. Mais vingt-cinq ans plus tard, ce qui était censé être temporaire est devenu permanent. De hauts responsables continuent à occuper ces villas et ces chalets même après fin de leur mission.

Le décret de 1992 confiait l’entretien et la conservation de l’ensemble immobilier aux services du chef du gouvernement. Cinq ans plus tard, un autre décret exécutif datant d’août 1997 et signé par Ahmed Ouyahia porte sur la création d’un établissement public de la résidence d’État du Sahel et dont la mission consiste notamment à « assurer, dans les meilleures conditions l’hébergement des personnalités de l’État et de leur fournir les prestations induites par cet hébergement ».

Cet établissement public de la résidence d’État du Sahel est géré, depuis de nombreuses années, par un certain Hamid Melzi. « C’est lui qui fait la pluie et le beau temps », aiment à répéter certains anciens responsables qui ont eu affaire à cet inamovible directeur général. Hamid Melzi qui occupe ce poste avant même le retour de Abdelaziz Bouteflika en Algérie, a des agents de sécurité d’une société privée pour gérer les entrées et les sorties de la résidence ainsi que la sécurité à l’intérieur. À proximité de ces résidences, ces agents se livrent parfois à des contrôles d’identité sur les automobilistes, comme le feraient des gendarmes ou des policiers.

L’inamovible Melzi

Hamid Melzi applique ses propres règles. En 2012, il interdit l’accès de Moretti à un ancien PDG d’Air Algérie, Abdelwahid Abdellah. Pour avoir une idée de la puissance du personnage, il faut revenir au courrier envoyé en mai dernier par la direction de la résidence à ses locataires au sujet d’une enquête de la gendarmerie sur certains résidents, leur famille et l’entité qui les a logés. « Ce genre d’agissements ne peut être toléré qu’après présentation d’un ordre de mission justifiant l’enquête et d’une perquisition ordonnée par la justice », avait dénoncé la direction.

Mais qui est finalement autorisé à habiter dans cette résidence ? Il s’agit d’abord des membres du gouvernement qui sont logés selon la fonction qu’il occupe. « Je me souviens avoir été nommé en même temps que Abdelmalek Sellal (lui aussi en tant que ministre). J’avais constaté qu’il avait été logé dans une villa très bien équipé. La mienne était moyenne. Sellal occupait à l’époque le poste de ministre de l’Intérieur », relate un ancien ministre.

« Mais détrompez-vous, ce sont les ministres qui sont minoritaires dans cette zone où il y a près de 300 villas », poursuit-il. Notre ministre n’avait pas que de hauts fonctionnaires de l’État comme voisins. Il se souvient également d’hommes d’affaires. « À l’époque, j’avais Djilali Mehri comme voisin », assure l’ancien ministre. À la résidence d’État du Sahel, on peut aussi trouver des anciens cadres de l’armée. Certains patrons de la presse privée y logeaient eux aussi durant les années 1990.

Au bout de combien de temps doit-on quitter la résidence après le départ du gouvernement ? « Tout dépend de comment vous le quitter », s’amuse le ministre. Lui a été sommé par la direction de quitter la résidence après un mois. « Au moment où j’étais en déplacement, ils ont coupé le gaz. Ma famille en garde un très mauvais souvenir », raconte-t-il. « En fait, il n’y a pas de règle bien précise. Certains responsables restent tandis que d’autres partent très rapidement après leur fin de fonction », affirme un autre ancien ministre. À Moretti, la situation est différente. « Pratiquement tous les habitants des villas à Moretti sont propriétaires », assure cet ancien responsable.

Comment est financée la résidence d’État du Sahel ? Certains députés voudraient bien avoir une idée claire. Dans son rapport d’appréciation sur le projet de loi de règlement budgétaire pour 2014, la Cour des comptes révélait que 2,242 milliards de dinars ont été attribués par le Premier ministère comme contribution à la résidence d’État. L’institution avait constaté une « augmentation de 202% par rapport à la contribution initiale arrêtée à un montant de 740 millions de dinars ».