La machine à surfacturer de BRC démontée par l’IGF

La machine à surfacturer de BRC démontée par l’IGF

Samy Injar, Maghreb Emergent, 14 Février 2011

L’Inspection générale des finances (IGF) vient de rendre ses conclusions à un rapport complémentaire en date de… 2006, sur BRC, la joint-venture – aujourd’hui dissoute – entre Sonatrach et l’Américain KBR, contrôlé par Halliburton. Elles alignent des infractions en rafale sur la conduite des contrats qui ont généré, entre 2002 et 2006, des surfacturations astronomiques sur 41 contrats de gré à gré avec Sonatrach et le ministère de la Défense nationale (MDN). Pour la somme d’environ 205 milliards de dinars sur laquelle le préjudice est estimé à 25%.

Tout d’abord un rappel à l’occasion des conclusions de l’IGF. C’est le chef du gouvernement qui a saisi l’IGF au sujet des contrats de BRC. C’était en février 2006, le président de la République était convalescent et le premier ministre s’appelait alors Ahmed Ouyahia. Cela explique un peu mieux la décision du président Bouteflika d’éteindre l’incendie en procédant tout simplement à la dissolution de BRC après rachat par Sonatrach de la part de l’Américain KBR. L’enquête n’était pas totalement de son initiative. Le rapport traque les anomalies dans leur chronologie. BRC est à la base spécialisée dans les métiers pétroliers, accessoirement dans les infrastructures généralistes. Son plan de charge évolue « anormalement » au début des années 2000. Selon le rapport de l’IGF, « à titre indicatif, les huit contrats relatifs aux projets d’infrastructures conclus en 2004 » représentent 83% du plan de charge global contre 17% pour les 4 contrats d’hydrocarbures. BRC a quitté son domaine de compétence. Mais cela n’est pas l’effet du hasard. Deux partenaires l’entraînent dans cet aiguillage suspect : le MDN et Sonatrach. « Il est singulier qu’une entreprise mixte créée douze années auparavant et spécialisée à l’origine en engineering pétrolier se soit orientée vers la réalisation de projets d’infrastructures au profit exclusivement de deux clients : le MDN et Sonatrach », peut on lire dans le rapport de l’IGF. Principale conséquence de cette dérivation vers les projets d’infrastructures, des deux partenaires de BRC, c’est le MDN qui signe les plus gros contrats. 64,1% du total contre 35,9% pour Sonatrach pour un nombre de projets supérieur – 27 contre 14.

Un type de contrat prohibé dans le décret présidentiel

Le rapport de l’IGF décortique ensuite la nature des contrats dit EPC, (Engineering, Procurement, Construction). Ce sont des contrats clés en main où le maître d’œuvre confie la totalité des opérations à l’entrepreneur, les études, les commandes des fournitures et la réalisation. Grande particularité de ce type de contrat, « le maître d’ouvrage peut suivre les différentes phases de la réalisation mais seul l’entrepreneur reste son vis-à-vis ». A l’inverse des contrats non clés en main où le maître d’ouvrage est assisté par une tierce entité pour assurer le suivi de la réalisation. Et le rapport de l’IGF de noter « ce type de contrat diffère particulièrement de ceux prévus par le code des marchés publics algérien ». Dans ce cas, le maître d’ouvrage attribue les études à des bureaux indépendants d’une part, et la réalisation à des sociétés spécialisées d’autre part. La sentence est cinglante : « ce type de contrat est incompatible avec les dispositions en vigueur du décret présidentiel 02/250, du 24 juillet 2002 relatif aux marchés publics ». Circonstance aggravante, le recours aux marchés en EPC ne peut permettre au maître d’ouvrage « de tirer des avantages de prix, de délais, et de qualité, que dans un contexte d’un marché concurrentiel ; ce qui n’est pas le cas dans les marchés octroyés de gré à gré à BRC ». Le rapport de l’IGF ne s’arrête pas à cette « anomalie » majeure du gré à gré. Il en indique d’autres à l’intérieur même de l’exécution des contrats. « En outre le lancement simultané des différentes phases du projet ‘Engineering, Procurement, Construction’ selon la formule en usage ‘fast track’ justifiée parfois par des considérations ‘d’urgence’, peut engendrer des situations critiques », peut-on encore lire. Le rapport de l’IGF explique ensuite : « en effet, cette formule, peut donner lieu à des études manquant de maturation, se traduisant par des modifications fréquentes des plans des ouvrages à réaliser et des allongements considérables de leurs délais d’exécution (exemple, la réalisation de la base aérienne de Tamanrasset où le délai a été multiplié par deux ».

Recours excessif à la sous-traitance

La démarche globale des contrats de BRC avec ces deux clients exclusifs, le ministère de la Défense nationale (MDN) et Sonatrach (maison mère), était bâtie sur un vice de concurrence, dans un cas, le contrat EPC, où le gré à gré est encore plus proscrit qu’ailleurs. Sonatrach peut toujours se défendre en soutenant qu’elle a octroyé des contrats à une de ses filiales. Le rapport de l’IGF démonte cet argument en pointant l’évasion de valeur en dehors de BRC, sans aller jusqu’à soutenir qu’elle se produisait au profit unique de KBR, ce que d’autres voies, internes à BRC, n’ont pas manqué d’affirmer en 2006. Le rapport de l’IGF dénonce en effet « le recours excessif à la sous-traitance par BRC ». « La construction et le procurement (placement des fournitures), sont entièrement sous-traitées. L’engineering l’est aussi, parfois partiellement ou totalement. Selon les dispositions contractuelles, les sous-traitants peuvent, à leur tour, sous-traiter tout ou partie des prestations et travaux ». La machine infernale des surfacturations est alors en marche. Le rapport cite l’exemple d’un contrat de gré à gré signé par BRC avec le sous-traitant TMCA pour une déviation de l’oléoduc OG1. Les dispositions contractuelles prévoyaient la possibilité pour le sous-traitant de sous-traiter lui-même. TMCA a fait défaut et BRC a été obligé de se tourner vers ses entreprises sous-traitantes « ce qui met en évidence l’existence d’une chaîne verticale de sous-traitants, entraînant ainsi indéniablement des surcoûts à la charge du maître de l’ouvrage », Sonatrach dans ce cas là. Les 41 marchés dont a bénéficié BRC dans la période examinée lui ont rapporté environ 2 milliards d’euros. Les spécialistes estiment que la machine à surfacturer a généré des surcoûts d’environ 25% en moyenne sur l’ensemble des contrats. BRC a donc empoché quelque 250 millions d’euros au préjudice de ses deux illustres clients.

L’IGF veut tracer les paiements à l’étranger

L’affaire ne devrait pas s’arrêter là. Dans ses conclusions, le rapport de l’IGF précise qu’il va rechercher une traçabilité à la chaîne des paiements au profit des sous-traitants. Là où ont été distribués les quelques 250 millions d’euros issus des surfacturations. « Le recours fréquent à la sous-traitance ne confère parfois à BRC qu’un rôle d’intermédiaire. L’examen de quelques contrats a permis des observations relatives à l’absence de cahier des charges, de devis quantitatif et bordereau des prix unitaires, le recours abusif à la procédure exceptionnelle de paiement (certificat administratif), au cumul illégal des missions d’études, de suivi et des travaux de réalisation, des paiements d’avance sans justification, des surcoûts, etc. L’étude de ces aspects étant à approfondir, la mission de contrôle de l’IGF se propose dans une étape les points suivants : domiciliation bancaire, paiements et transfert à l’étranger, la situation fiscale de BRC. D’autres contrats de sous-traitance de quelques projets, coût du personnel étranger, autres points éventuels ». Une seule question à la lecture de ce complément de rapport. Que faisait donc l’IGF depuis 2006 ?