Farid Bourennani : L’Algérie ferait mieux de lancer une OPA sur 48% d’OTH que de racheter Djezzy

Farid Bourennani : L’Algérie ferait mieux de lancer une OPA sur 48% d’OTH que de racheter Djezzy

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent, 22 Novembre 2010

Farid Bourennani est docteur en ingénierie financière et conseil international en opérations de haut de bilan « fusion acquisition ». Il explique pourquoi la démarche du gouvernement algérien concernant Djezzy menace de détruite la valeur de cet opérateur, et propose d’autres voies pour « algérianiser » l’actionnariat de OTA sans s’enliser dans une impasse. Sa première solution, algérianiser l’actionnariat de Djezzy à la bourse d’Alger. L’OPA à la bourse du Caire est une autre solution.

Vous avez déjà affirmé que le droit de préemption n’était pas opposable à OTH dans le cas de sa prise de contrôle pressenti par le sud africain MTN en mai dernier. Cela est aussi le cas selon vous dans cette fusion acquisition avec Vimpelcom ?

Tout à fait. Il faut bien voir que l’actionnariat d’OTH SAE, coté en bourse au Caire et à Alexandrie et indirectement à Londres à travers GDR, n’a jamais cessé d’évoluer depuis 2001 et l’acquisition de la licence algérienne. Avec MTN puis Vimpelcom, c’est Weather Investment SPA, actionnaire de référence d’OTH SAE depuis 2005, qui doit changer de main en janvier prochain si les AG confirment les accords des conseils d’administration. Cela n’a aucune conséquence sur l’actionnariat d’Orascom Télecom Algérie (OTA). La licence algérienne est toujours détenue par OTH à 96,81% et par Cevital à 3,19%. Le droit de préemption fonctionne si OTH décide de céder ses parts dans OTA à un autre acteur. Nous ne sommes pas dans ce cas. Il faudrait donc éviter pour l’Etat algérien de mettre OTH en situation de requalifier le droit de préemption en « vente contrainte ». L’arbitrage international sera alors inévitable, et un procès est le pire des scénarios. Nous assisterions à la destruction de la valeur de Djezzy. Je reste convaincu que cela n’est pas du tout l’objectif visé par l’Etat, c’est pour cela qu’il convient d’éviter que cela devienne un dommage collatéral.

Quelles sont selon vous les motivations du gouvernement algérien dans la volonté de racheter Djezzy ? On parle beaucoup de la volonté d’empêcher une opération spéculative comme dans l’affaire Orascom Constrution – Lafarge. C’est aussi votre avis ?

Les motivations réelles n’ont pas été clairement explicitées. Je fais observer toutefois que la famille Sawiris a été plus payée en actions qu’en numéraire dans la prise de contrôle de sa branche matériaux de construction en 2007 par Lafarge. De sorte qu’elle est devenue le second actionnaire de Lafarge après le belge Albert Frère. Peut-on alors parler d’opération spéculative dans cette fusion acquisition ? Le spéculateur vend tout, prend du numéraire et s’en va. En outre, si c’est le retour non souhaité de Lafarge en Algérie qui a fait problème, je note qu’après l’entrée, « par la fenêtre », par le rachat de tout le groupe cimentier Orascom, Lafarge a bien obtenu du gouvernement algérien 30% du capital de la cimenterie de Meftah et son management. Il reste cette idée selon laquelle, il existe une plus value à capter dans l’achat-revente de Djezzy. Et là, le marché a ses réflexes. Dès lors qu’un opérateur dans les télécommunications est géré par un Etat, il perd immédiatement de sa valeur. Cela est vrai dans les autres secteurs, c’est décuplé dans les télécommunications. L’enjeu dans cette affaire ne doit pas être de bloquer une transaction pour en récupérer la plus value supposée. La tendance mondiale dans le secteur des télécommunications est au rapprochement entre multinationales. Il y’a trop d’acteurs sur le marché. L’intérêt pour l’Algérie est de s’assurer que les opérateurs qui agissent sur son marché feront partie des futurs gagnants de cette grande redistribution des cartes.

De ce point de vue peut-on considérer Vimpelcom comme un futur gagnant ?

Il y’a une grande confusion au sujet de Vimpelcom Ltd. Il s’agit tout d’abord d’une société de droit néerlandais dont le siège social est à Amsterdam. Son actionnaire de référence est la société de télécommunication russe Altimo elle-même filiale à 100% de la société russe Alfagroup dirigé par Mikhael Fridman. Or Alpha Group n’est pas, contrairement à ce qui a pu se dire, une coquille vide. Elle est opératrice dans des métiers complexes comme l’amont pétro-gazier, le raffinage, la distribution de carburant, la banque et les services financiers, le négoce et la grande distribution, les télécom et les médias. Dans le tour de table de Vimpelcom Ltd figure également Telenor opérateur de téléphonie dans lequel l’Etat norvégien détient 53% du capital. Telenor détient 36, 03% des droits de vote dans Vimpelcom Ltd, qui, faut il le savoir, est côté à New York au Nasdaq. Si Vimpelcom Ltd n’est pas certain de faire partie des gagnants de demain, il a déjà les atouts pour en être. Mais pour être complet dans cette réponse, il faut voir si le secteur des télécommunications en Algérie propose, de son côté, des acteurs gagnants. L’opérateur historique n’est même pas leader de son marché. Djezzy est à l’arrêt dans son développement à cause du conflit qui est entrain de s’inscrire dans la durée. Le ministère des TIC parle d’un appel d’offres pour une licence de 3G en 2011 pour un déploiement en 2013. La 3G est une technologie de 2003. Les parts de marché entre les opérateurs sont gravées dans le marbre puisque il n’existe pas de portabilité du numéro si l’on change d’opérateurs. Pas de stratégie non plus de convergence fixe-mobile. La situation c’est celle là.

Très bien. Convenons qu’en dépit de toutes ses réserves, le gouvernement algérien dans une démarche souverainiste veuille tout de même algérianiser Djezzy. Est-ce que cela est insoutenable ?

Je ne le dirais pas ainsi. Le scénario en cours est un scénario de confrontation et de destruction de valeur. Il faut revenir à un partenariat qui conserve la dynamique du premier opérateur sur le marché algérien. Djezzy est déjà algérienne, par son personnel, sa maîtrise technique et son implantation. Il est possible d’algérianiser son actionnariat en procédant à une augmentation du capital à la bourse d’Alger avec comme objectif à terme les 51%. L’augmentation serait réservée exclusivement aux algériens avec des tranches réservées aux clients de Djezzy et à ses salariés, une autre aux investisseurs et personnes morales et une tranche pour le fonds national d’investissement (FNI), ou tout autre instrument souverain. Cela réglerait la question du financement en dinars d’OTA et répondrait au souci manifeste de l’Etat algérien de réduire les exportations de devises générées par les résultats d’exploitation de Djezzy. Il faudrait que le gouvernement réussisse à convaincre les propriétaires d’OTA pour un tel scénario qui préserve la poule aux œufs d’or.

Ce que vous nous suggérer ici est que le gouvernement peut « router » légitimement l’actionnariat d’OTA vers l’algérianisation, mais qu’il n’est pas dans son rôle d’être l’acquéreur principal…

Le gouvernement algérien a mieux à faire que de dépenser 3 ou 4 milliards de dollars pour racheter un opérateur qui va se dé-coter aussitôt. S’il tient absolument à devenir un acteur dans les télécommunications il doit alors viser la scène internationale et aller à la bourse du Caire faire une offre publique d’achat (OPA) aux actionnaires minoritaires de OTH SAE qui lui ont adressé il y’a quelque temps un courrier pour se plaindre de la perte de valeur de leurs actions à cause du « sort fait à OTA en Algérie ». Au cours actuel de l’action OTH, il est possible d’en acquérir 48% du capital, au prix, 3,5 à 4,5 milliards de dollars, que le gouvernement parait prêt à mettre pour racheter 96,81% de OTA en Algérie. L’OPA d’un fonds algérien à la bourse du Caire n’est pas ma première option, mais même si elle ne devait permettre de récupérer que 25% du capital de OTH SAE, nous serions dans une autre configuration, celle d’une co-entreprise ou les partenaires auraient intérêt à créer ensemble de la valeur, en Algérie et ailleurs dans les autres opérations existantes d’ OTH et d’autres opérations à lancer.

Entretien réalisé par El Kadi Ihsane