Mgr Teissier: «L’évangélisation n’est pas le fait de l’Eglise d’Algérie»

MGR HENRI TESSIER, ARCHEVEQUE D’ALGER

«L’évangélisation n’est pas le fait de l’Eglise d’Algérie»

Le Quotidien d’Oran, 9 octobre 2004

Face aux rumeurs faisant état de missions d’évangélisation dans certaines régions du pays, l’Eglise d’Algérie sort de sa réserve.

Monseigneur Henri Tessier, archevêque d’Alger, dégage la responsabilité des religieux et des religieuses de l’Eglise d’Algérie dans l’apparition de ces nouvelles communautés évangéliques. « Ce n’est pas nous qui les avons suscitées, ni qui en assurons la promotion. Nous ne les avons pas organisées et nous ne les animons pas. Par contre, pour illustrer médiatiquement ce phénomène, la photo publiée est celle de Notre-Dame d’Afrique. Alors que ces groupes n’ont pas d’estime pour la Vierge Marie dans leur lecture de l’Evangile. C’est à contresens du respect voué à la Vierge Marie. Ce n’est pas l’oeuvre de l’Eglise d’Algérie», a précisé l’archevêque d’Alger au Quotidien d’Oran. Ce n’est pas non plus l’oeuvre de l’Eglise protestante, précise-t-il.

Qui est donc responsable de la campagne d’évangélisation qui est menée par des missionnaires étrangers dans des coins reculés de l’Algérie ? L’apparition de nouveaux convertis au christianisme suscite actuellement une polémique. Ce phénomène inquiète à la fois les autorités – le ministre des Affaires religieuses avait réagi à ce propos – mais également la société civile. Il a valu des prêches virulents à l’encontre de l’église de la part de certains imams. Des associations religieuses et des partis politiques islamistes et même traditionalistes l’ont aussi dénoncé. Dans ce contexte, certains pointaient du doigt la seule communauté chrétienne structurée, l’Eglise d’Algérie.

Les dignitaires religieux chrétiens se retrouvent confrontés, toutefois, à un phénomène qui les dépassent et qui les inquiètent. Les nouvelles communautés évangéliques ne dépendent pas d’eux. Les chefs spirituels des deux églises en ont discuté récemment avec le ministre des Affaires religieuses. « Dans certains de ces groupes, il y a une agressivité vis-à-vis de la tradition musulmane de ce pays. Nous avons connu dans les siècles passés les guerres de religions. Nous pensons qu’au 21e siècle, nous devons porter un regard plus respectueux sur la religion, sur la différence », a estimé Mgr Tessier.

L’apparition de ces nouveaux groupes chrétiens avait interpellé les délégués de l’assemblée interdiocésaine qui s’est tenue à Alger du 23 au 25 septembre derniers. « La principale question pour nous a été de savoir quelle position prendre par rapport à ces nouveaux groupes. Il y a deux attitudes, la première étant d’être fraternel avec tout le monde. La deuxième est que nous ne voulons pas que se développe un christianisme opposé à l’Islam en Algérie », a précisé l’archevêque d’Alger.

Mgr Tessier relève, à cet effet, que l’Eglise ne cherche pas à profiter de son action caritative. « Depuis 40 ans, nous avons des bibliothèques ouvertes pour les étudiants. En 40 ans, nous n’en avons pas baptisé un seul. Nous avons ouvert ces bibliothèques parce que nous pensons que nous pouvons aider des jeunes à réussir leurs examens, à avancer s’ils en ont les moyens. Jésus a dit: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Pour nous, c’est obéir à ce précepte. Nous ne l’avons pas fait par prosélytisme ni par désir de convertir les jeunes. Nous voulons construire la fraternité mais dans le respect de l’autre », précise-t-il. Certains ne voient, selon lui, ces actions que sous l’aspect de « compétition ou d’annexion ». Dans ce contexte, il rappelle la caractéristique principale de leur engagement. « Le mot mission a un sens plus large. Nous l’utilisons dans le sens de Rissalat El-Kanissa. Nous ne concevons pas notre mission au sens du Tabchir et du prosélytisme, encore moins dans celui d’une action pernicieuse pour annexer l’autre ».

Au cours de l’assemblée interdiocésaine, l’Eglise d’Algérie s’est penchée sur son avenir, sur le sens de sa vocation. « La raison de la tenue de cette assemblée est le fait que nous entrions dans une nouvelle étape de la vie de l’Algérie. Nous venons, tous, de traverser dix ans de crise. Nous espérons être au-delà de la violence et nous voulions situer à nouveau nos collaborations et nos objectifs. C’est normal de réfléchir à l’avenir. Nous pensons qu’il est bon pour l’église d’être présente en Algérie. Cela lui apprend à exister en tant que minorité dans une terre d’Islam.

C’est utile également pour l’Algérie puisque cela représente une petite fenêtre ouverte sur la différence. Nous voulons poser le signe de la présence fraternelle. Et nous tenons à avoir un avenir à cause des tensions entre l’Occident et un certain nombre de communautés musulmanes ».

La présence de l’Eglise est un « témoignage » devant les Occidentaux. « Pour dire que l’on peut vivre heureux dans une société musulmane. Nous pouvons vivre sans confrontation, sans guerre. Ceux qui utilisent le discours extrémiste de part et d’autre n’ont pas d’avenir. L’avenir, c’est la collaboration entre chrétiens et musulmans. Entre toutes les cultures. A travers le respect de l’autre et du dialogue », a estimé Mgr Henri Tessier.

Samar Smati