La langue amazighe attend un statut officiel réel

Après la promulgation du texte portant révision constitutionnelle

La langue amazighe attend un statut officiel réel

El Watan, 15 mars 2016

La discrimination est toujours de rigueur dans la prise en charge, la promotion et le développement des deux langues «nationales et officielles».

Tamazight, dans ses dimensions linguistique, culturelle et identitaire, demeure prisonnière des discours ambivalents du pouvoir politique en dépit de son «officialisation» contenue dans la Constitution de 2016. De la proclamation : «Nous sommes arabes» du président Ben Bella en 1962, en passant par le qualificatif de «racistes et séparatistes» de Boumediène dans les années 1970 attribué aux militants de la cause et le «jamais langue nationale et officielle» de Bouteflika en 1999, la cause berbère a rencontré maints obstacles. Un long chemin est encore à parcourir pour avoir un statut digne de son histoire et des aspirations de ses locuteurs.

La Constitution de 2016 est claire : l’officialisation de tamazight est tributaire d’une «académie» qui reste à créer et dont les jalons sont déjà posés de travers : quels caractères de transcription ? Une question qui d’ores et déjà divise les «experts» pour des raisons bassement idéologiques. Le constat dressé par les enseignants, les avocats et les juristes est accablant : tamazight n’a toujours pas un véritable statut officiel en Algérie.

Facultative dans le secteur de l’enseignement, la langue peine à trouver la place qui lui sied dans les institutions de la République. Le Pr Abdelkader Kacher, enseignant-chercheur en droit explique : «Pour asseoir la généralisation du caractère obligatoire et du statut juridique contraignant de l’arabe, le législateur n’a pas hésité à lui promulguer une loi spécifique en 1991, la loi 91-05 du 16 janvier 1991, JO n°03 du 16 janvier 1991, un ensemble décret législatif n°92-02 du 4 juillet 1992, et un décret présidentiel n°92-303 du 4 juillet 1992, JO 54 du 15 juillet 1992 et l’ordonnance n°96-30.

Une batterie d’autres textes consolidant ces deux facteurs, obligatoires et contraignants, est édictée à l’instar des lois portant organisation de l’éducation et de la formation de 1976, dont l’article 8, dans sa version initiale, exclut l’existence d’une seconde langue pour tous les Algériennes et Algériens et s’en tient qu’à l’unique langue considérée comme telle par le régime politique en place et strictement confinée dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste que l’on peut lire dans l’article 2 de la même ordonnance.» Le spécialiste en droit explique que l’ordonnance de 1976 dispose que l’enseignement est assuré en langue nationale (au singulier) à tous les niveaux d’éducation et de formation et dans toutes les disciplines.

Elle n’est pas modifiée 40 ans après. Ainsi, souligne-t-on, la discrimination est toujours de rigueur dans la prise en charge, la promotion et le développement des deux langues «nationales et officielles». Le Pr Kacher ajoute : «Pour moi, le projet de loi validé par le Parlement réuni avec ses deux Chambres est une pieuvre à sept têtes, talafsa m’svaa iqerrai, de sorte que le levier de commandement demeure exclusivement détenu par la formulation de l’alinéa 2 de l’article 3.

Cet article qui stipule que l’arabe demeure la langue officielle de l’Etat, nous renseigne encore une fois qu’en réalité et dans les faits de la pratique des institutions de l’Etat que la langue arabe demeure toujours l’unique langue officielle.» Si pour de nombreux militants de la cause, un pas de géant a été franchi dans le sens de la reconnaissance globale, il n’en demeure pas moins que ce patrimoine national et de l’humanité requiert une obligation de prise en charge par l’Etat pour son épanouissement à travers surtout la traduction de et vers tamazight. Eminemment politique, la question amazighe continuera certainement à être portée de manière politique à travers des revendications et des protestations populaires.
Saïd Gada