No Mans Land – Land of Non Droit

ZONE D’ATTENTE DE ROISSY CHARLES DE GAULLE:

No Mans Land – Land of Non Droit

Iskander Debbache, 19 février 2005

Nous sommes aujourd’hui en Février 2005 et trois années sont déjà passées depuis mon retour d’Argentine et mon passage à la zone d’attente de l’Aéroport de Roissy Charles De Gaulle, désignée ZAPI III. J’y avais passé huit jours au bout desquels le ministère Français de l’intérieur m’avait accordé un sauf conduit qui m’autorisait enfin à entrer sur le territoire Français. Nous étions alors le 8 Mars 2002.

Je revenais d’Argentine, un pays que j’avais laissé en pleine ébulition, dont j’avais assisté à la lente agonie durant les cinq années que j’y avais passées. Le président De La Rua venait d’être destitué par une foule délirante chauffée à blanc par des Péronistes avides de régler enfin leurs comptes avec le tombeur de l’ancien président « Play boy » Carlos Menem dans un pays déchiré par l’insécurité, au bord de l’explosion et que j’ai dû fuir au milieu de l’anarchie qui y reignait.

L’Argentine était au bord de la guerre civile et c’est dans ce contexte que nous avions débarqué mon fils et moi même en Février 2002 à l’Aéroport de Roissy Charles De Gaulle où nous somme arrivés par le vol de la T.A.M. une compagnie Brésilienne, que nous avions pris à Sao Paulo.

Notre séjour à la zone d’attente de l’Aéroport Parisien m’a ouvert les yeux sur une planète dont j’avais déjà entendu parler sans en soupçonner les subtilités. Par mon passé de journaliste, je croyais vaguement savoir pour avoir déjà parcouru quelques compte-rendus « d’associations humanitaires » qu’une zone de non droit s’y était lentement et progressivement installée, j’étais alors loin du compte, croyant naïvement à la bonne foi des « associations humanitaires » et la réalité allait très vite opposer des surprises à mes attentes.

L’arrivée au site de la ZAPI III se fait généralement la nuit, les demandeurs d’asile aux frontières parfois des familles le plus souvent accompagnées d’enfants puisque le site leur est consacré, y sont conduits en plusieurs fourgons de Police qui ne comportent pas de sièges et où les étrangers sont entassés parfois dans des poses inconfortables qui deviennent très vite douloureuses. Sitôt arrivés, les étrangers sont débarqués sous les projecteurs devant une haie de C.R.S. armés de gourdins et tenant chacun en laisse un chien de berger allemand, tous muselés certes mais qui ne cessent d’aboyer, rendant l’atmosphère à la fois lourde et irréelle. L’hostilité s’est faite très vite sentir: un policier au type méditérranéen nous demandait en criant:
– Qu’êtes vous venus faire en France?
Il fallait se taire, faire très vite et surtout reconnaitre et trier les bagages avant de passer à la fouille sous les aboiements furieux et déchainés des chiens, les sifflets stridents des C.R.S. et les cris de terreur des enfants. J’ai alors un tout petit instant fermé les yeux: c’était l’arrivée du train à Aushwitz.

Dès leur « installation », c’est à dire le lendemain, les hébergés sont dirigés vers le bureau de l’Office international des migrations qui leur remet deux cartes téléphoniques ainsi qu’une liste d’associations censées assister les étrangers aux frontières dont entre autres « France Terre d’Asile » et l’ANAFE qui cependant, toutes jointes par téléphone, préfèrent décliner toute forme d’intervention auprès des autorités aux frontières arguant généralement du peu de temps voire de l’impossibilité de pénétrer en zone internationale ce qui s’avèrera plus tard dénué de toute espèce de vérité puisque des laisez-passer sont quotidiennement délivrés à ces mêmes associations pour des missions dont la finalité m’échappe encore. Toutes refusent de donner suite aux appels des hébergés sauf peut-être « France Terre d’Asile » qui après avoir généralement fait état de son impossibilité d’intervenir en zone internationale s’empresse par la suite comme un service rendu de leur proposer une liste d’avocats qui, parait-il sélectionnés sur leur connaissance du thème des réfugiés, pourraient répondre à leurs attentes auprès du tribunal de Bobigny moyennant la somme de $3000 à $4000 U.S.

La plupart des hébergés étaient des Africains, des Indiens, Bengalis, Tamouls du Sri-Lanka ou Chinois en quête d’un « Eldorado », d’une terre plus clémente où il leur serait plus facile d’entretenir des rêves de prospérité et de bonheur ou tout simplement pour rêver à une vie de travailleur dans la pauvreté peut-être, quoique sûrement contenue dans les limites de la dignité, du moins le pensaient ils. Beaucoup avaient, pour se déplacer vers l’étranger et espérer y réaliser leurs rêves, vendu qui un lopin de terre de quelques hectares, qui une voiture ou parfois une maisonnette peut-être même un appartement. Ils auraient destiné cet argent à leur installation probablement pour installer un commerce mais voilà qu’on le leur sollicitait « pour l’étude de leur cas » en leur promettant une assistance solide et bien étudiée auprès du tribunal de Bobigny. Après tout, pourquoi pas? L’esentiel étant de réussir à pénétrer sur le territoire Français. Puis, après tout, ne dit on pas qu’en France il suffirait de se baisser pour ramasser de l’argent à pleines brassées? Sauf que pour le moment c’étaient plutôt les avocats de l’association qui se baissaient pour brader l’éthique. A ma grande surprise et je ne dirai pas « à mon grand amusement » la chose étant si dramatique, à la sortie du parloir où ils ont entrevu l’avocat de France Terre d’Asile, chacun d’entre eux était persuadé que son cas était unique, particulier à bien des égards et ne devait par conséquent s’attendre qu’à un accord des autorités pour entrer triomphalement sur le territoire Français. Après tout, qu’est-ce que trois ou quatre mille Dollars U.S. devant tant de promesses et cette fois c’est sûr qu’à ce prix, le juge de Bobigny leur donnera raison… Tant pis pour ceux qui n’auront pas payé…Dans la vie, quand on veut aller loin, il faut savoir accepter quelques sacrifices… Du moins c’était ce que leur laissait entendre l’avocat de France Terre d’Asile qui feignait ainsi ignorer les termes de la procédure qui consiste en ce que la décision d’entrée sur le territoire Français soit prise non pas par le tribunal de Bobigny mais par le ministère de l’intérieur après accord favorable du délégué des affaires étrangères qui doit entendre chaque hébergé pendant environs vingt minutes. Le tribunal de Bobigny n’étant habilité à statuer que sur le maintien ou non de la personne en zone d’attente après avis sur la recevabilité de la requête avant de se prononcer sur un accord de maintien ou sur un refoulement pur et simple vers le pays d’origine.

Les expulsions se faisaient généralement la nuit entre une et deux heures du matin quand tout le monde dormait. Le tribunal s’était généralement déjà prononcé en faveur de l’expulsion, le recours n’étant pas suspensif de la décision, l’hébergé cette fois en position d’expulsable cherchait vainement parfois debout dans le couloir l’oreille collée pendant des heures au téléphone en ligne avec France Terre d’Asile dont le préposé n’hésitait pas à répondre :
– Madame ou Monsieur, vous vous trompez de numéro! >>
Quant à l’avocat, il aurait aux dernières nouvelles été sublimé par un rayon cosmique ou peut être même dissous dans l’air, qui sait? c’est alors que l’épuisement fait place à l’insoutenable et souvent à l’horreur!
J’ai personnellement assisté à des scènes de désespoir particulièrement atroces. J’ai déjà vu une jeune Africaine se roulant par terre en hurlant et en mordant la bouche dégoulinant de salive, les pieds d’une chaise sous l’oeil impassible et indifférent des policiers. Bah! Une crise d’hystérie suggérée par la déception me diriez vous, sauf que dans ce cas précis et généralement dans ce cas de figure, la personne en question ne s’en relève que très rarement pour ne pas dire jamais tant le choc est rude! Et à plus forte raison quand il provient d’un prédateur d’autant plus avisé qu’il a déjà avalé sa proie toujours confiante. Et de quoi se méfierait elle s’il est envoyé par une association humanitaire, sans qu’elle ne puisse lui opposer la moindre résistance en la dépouillant en plus de ce qui lui restait non plus d’argent d’argent mais de son dernier bien qu’elle possède en propre autrement dit, de son reliquat de dignité!

Avant chaque expulsion, les policiers commençaient d’abord par repérer la personne, la chambre et le lit auquels elle est affectée. Si la date d’expulsion est désignée par le tribunal, elle n’est en général que rarement respectée sauf bonne volonté du concerné qui accepterait alors de se laisser conduire vers l’avion sans opposer de résistance mais dans le cas contraire, on met d’abord la personne en confiance et c’est au moment où elle s’y attend le moins soit en plein sommeil réparateur après des journées épuisantes à force de désoeuvrement que les policiers font irruption la nuit à quatre ou cinq dans la chambre dont les lits en bois hermétiques sur les côtés, sont scellés au sol pour éviter que quelqu’un ne puisse se glisser en dessous pour s’y cacher. L’irruption se fait de manière brutale: le sujet est saisi puis arraché de son lit avant même qu’il ne prenne conscience de ce qui lui arrive et quant il le fait, il est conduit vers la sortie avec les cris d’un condamné qu’on emmène à l’échafaud.

Parfois, quand un expulsé s’ingénie à opposer une trop grande résistance devant les passagers de l’avion et si l’image des policiers qui le maintiennent s’avère trop insupportable pour les passagers, alors le commandant de bord refuse d’embarquer le malheureux qui est cette fois renvoyé à la zone d’attente après un passage à tabac en règle. C’est alors qu’une fois avant de me rendre à la salle à manger pour diner, j’ai été abordé par un groupe de trois Maliens le visage tout bleu et aux yeux hagards de ceux qui ont été passés à tabac par les C.R.S. qui ont refusé de les présenter devant un médecin. Sans doute aurai-je dû détourner les yeux et ainsi les ignorer comme n’importe qui l’aurait fait? Ou tout simplement comme me l’aurait suggéré la sagesse? Mais NON! Comme toujours il a fallu que je m’en mèle. Il y a qu’ils étaient très jeunes, à peine dix sept, dix huit ans peut-être et l’un d’eux souffrait de nausées après avoir reçu des coups de matraque plombée sur la tête. C’est sûrement ce qui m’a motivé pour appeler l’ANAFE qui maintenait une permanence téléphonique au bureau Parisien d’Amnesty International dont elle dépendait organiquement. J’ai dû pour ce faire et après avoir décliné obligatoirement mon identité, raconter dans le détail ce qui est arrivé aux malheureux Maliens parlant à peine quelques mots de Français et insister pour qu’elle prenne en compte le caractère d’urgence de l’affaire qui risquait faute d’intervention médicale et sauf avis médical contraire, de se terminer par le décès du plus atteint des jeunes Maliens. MAL M’EN A PRIS! Car la jeune femme avait communiqué mon nom aux policiers de la ZAPI III qui se sont alors empressés de m’appeler au bureau par le haut-parleur de la salle de jeux et du couloir. L’officier de police qui m’avait reçu avait d’abord failli s’étrangler de rage avant de revenir à de meilleurs sinon de sentiments du moins de dispositions à la vue de ma carte de presse. Je laisse le lecteur conclure, il est seul juge.

Paris le 19 Février 2005

Iskander DEBBACHE.