Daho Djerbal tire la «spéciale» de l’ombre

Son livre jette la lumière sur «l’OS de la Fédération de France»

Daho Djerbal tire la «spéciale» de l’ombre

El Watan, 18 octobre 2012

Cinquante ans après l’indépendance nationale, des pans entiers de l’histoire de la lutte de Libération restent encore enfermés dans des zones d’ombre.

Des acteurs aux hauts faits d’armes tus par une histoire sélectivement écrite. C’est le cas des militants de l’OS de la Fédération de France du FLN, que nombreux parmi eux n’ont pas trouvé leur place dans une indépendance chèrement acquise. C’est cette part importante d’une dimension de la lutte de libération en métropole que l’historien Daho Djerbal sort de l’ombre dans son livre, qui vient de paraître aux éditions Chihab sous le titre L’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (1956-1962).

La spéciale. Un livre qui jette un coup de projecteur sur le rôle des hommes et des femmes qui ont porté la guerre sur le territoire français. Un ouvrage qui donne la parole aux principaux acteurs de la «spéciale». Leurs témoignages lèvent le secret sur cette phase décisive dans la lutte pour l’indépendance. Le livre se veut «un hommage rendu aux hommes et femmes qui se sont battus pour l’indépendance. Je suis un restitueur de parole à des militants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour que nous soyons libre», a soutenu Daho Djerbal à l’occasion d’un débat autour de son livre, avant-hier, à la maison d’édition Chihab à Alger.

L’auteur parle de «grande injustice politique et morale» à l’égard de ces militants. Situant le contexte historique et politique qui l’a amené à sortir cette période historique et ses acteurs de l’oubli, Daho Djerbal fait un reproche aux historiens et autres acteurs qui ont écrit sur la Fédération de France du FLN. Il cite La 7e Wilaya de Ali Haroun qui, selon l’historien, «dans le passage sur l’OS, des militants n’ont pas trouvé le mérite qui leur revient. Une déconsidération et une atteinte aux sacrifices de ces militants», juge-t-il. Plus tragique encore, ces militants n’ont pas trouvé leur place à l’indépendance. «Ils étaient écartés», s’indigne Daho Djerbal.

Un des acteurs de la «spéciale» retient essentiellement l’intérêt de l’auteur. Il s’agit de Aït Moukhtar Necereddine, qui était adjoint de Saïd Bouaziz. «Ce militant s’engage dans la spéciale sur le terrain en menant des actions après avoir arrêté ses études de médecine suite à la grève des étudiants de 1956. Il a rompu avec tous. C’était un candidat à la mort pour la liberté. A l’indépendance, on lui a refusé de continuer ses études de médecine et il a été contraint de s’exiler en Belgique pour pouvoir accomplir ses études», témoigne Daho Djerbal.
Le cas de Aït Moukhtar est emblématique de nombreux militants(es) de l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN, dont l’historien a tenté de sortir de l’oubli et de l’ombre de l’histoire de la guerre, à travers son livre.

Un ouvrage qui restitue la parole à ces acteurs, dont beaucoup ne sont plus de ce monde, que l’histoire officielle a passés sous silence. «La part qui est réservée aux membres de l’OS dans l’histoire de la Fédération de France n’était pas du goût du plus grand nombre. Il y avait en fait un contentieux que le temps n’avait pas aidé à résoudre : la spéciale de la Fédération de France du FLN était-elle une organisation civile ou une organisation militaire ? (…) Pour les membres de la spéciale, il n’y avait pas l’ombre d’un doute ; ils étaient des djounoud de l’ALN», écrit Daho Djerbal en guise d’avertissement dans son livre.
Et c’est à ce moment que Aït Moukhtar décide d’écrire l’histoire de ces vaillants «oubliés de l’histoire». Un travail qu’il n’a pu finir en raison

d’une maladie handicapante, mais que l’historien a repris et mené à bout au terme d’années de recherches et de témoignages recueillis auprès de nombreux militants de la «spéciale», pour qu’ils puissent enfin être reconnus par l’histoire à défaut de reconnaissance de la République. Le livre de Daho Djerbal lève le voile sur une part cachée de l’engagement des militants humbles qui ont donné de leur vie pour l’idéal indépendantiste. Il relance le débat sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, entourée de points aveugles. Un demi-siècle après l’indépendance – timidement célébrée – la vérité historique continue à déranger.

Daho Djerbal, l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN : histoire de la lutte armée du FLN en France (1956-1962), Editions Chihab, Alger 2012, 446 pages.
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