Algérie : Tous, kif-kif !

Algérie : Tous, kif-kif !

Soleïman Adel Guémar, 12 mai 2004

Officiellement, depuis le 08 Avril dernier, Bouteflika est président de la RADP pour un second mandat de cinq ans. Pour ce faire, la machine a été d’une redoutable efficacité. A l’échelle des pays sous-développés, cela s’entend.

L’objectif de cette superproduction, modèle film hindou, est de redorer le blason d’un régime haletant, disqualifié, qui avait entamé sa descente dans le monde hallucinant de l’anthropophagie (Affaire Khalifa, par exemple) et dont les dégâts collatéraux commençaient à énerver sérieusement les parrains du pouvoir algérien, pressés par les transnationales de mettre fin à un bégaiement qui avait trop fait des siennes. Exigence d’un minimum d’apparat démocratique par les officiels états-uniens oblige, on adapta le scénario d’une course au pouvoir présidentiel avec quelques emprunts des techniques du lobby Bush.

La fin justifiant les moyens, rien n’a été omis pour s’approprier les 84,99% du suffrage. Pour une fois dans l’histoire des élections présidentielles algériennes, le bourrage des urnes, n’a pas été le seul procédé.

A part l’aventure pittoresque et le brouhaha des candidats bouc-émissaires, consentants ou non, et pour ne pas trop faire dans l’innovation, l’omniprésente sécurité militaire de Mohamed Médiène (alias Toufik) et de Smaïl Lamari (alias Smaïn), l’administration asservie de Yazid Zerhouni et la police de Tounsi (alias El-ghaouti) veillèrent au grain, main dans la main, quant à la marche cadencée des choses et à l’alchimie du décompte. Ceci, sous le regard scrutateur de l’indéboulonnable Larbi Belkheir, occupé plus que jamais par la rédaction en temps réel de ses BRQ (Bulletins de renseignements quotidiens) à qui de droit, et appuyés par les murmures assourdissants d’un Mohamed Lamari, au garde-à-vous face à la haute hiérarchie de l’OTAN et appliquant la stratégie chinoise millénaire: “Fais du bruit à l’est et frappe à l’ouest” (Tchwang Tsé).

Et ce qui devait arriver arriva, à la grande satisfaction de tous les opportunistes qui se sont couchés sans état d’âme devant le rouleau compresseur de la realpolitik. Et à la grande surprise, réelle ou feinte, de tous les manipulés, intoxiqués, intellos de salon et autres acteurs professionnels.

Complètement out, les quelques observateurs appartenant aux organisations internationales venues contrôler la bonne marche des élections dans un territoire de plus de 2 millions de km2, politiquement quadrillé à partir des casernes de Beni-Messous et de Ghermoul, distribueront les bons points nécessaires au régime militaire d’Alger pour, entre autres, entrer par la grande porte dans le futur “Grand moyen orient” habillé d’une tenue de parade démocratique factice.

Pathologiquement rivé à la conception répressive et militaro-populiste du pouvoir à la mode “Boussouf-Boumédienne” mais plus que jamais décidé à mettre en pratique son expérience féodale acquise dans les pays du Golfe, le dictateur-réconciliateur croisera majestueusement les jambes sur le trône d’El-Mouradia, en prenant soin de ne pas enlever ses babouches.
A l’instar de leurs aînés, les généraux « janvieristes » garderont, quant à eux, leurs épaulettes dorées, leurs comptes en banque numérotés en Suisse et ailleurs, et n’auront plus de mourrant à se faire, pour l’instant, à propos d’un éventuel TPI (Tribunal pénal international). Véritable épée de Damoclès planant sur leurs têtes et risquant de s’abattre sur eux par « accident » à mesure que la guéguerre entre les clans du régime aurait redoublé de férocité et atteint des limites ingérables.

Souhaité par les opposants purs et durs, ce scénario « catastrophe » aurait pourtant réussi, par effet boule de neige, à débarrasser l’Algérie, une fois pour toutes, de la caste militaro-maffieuse, toutes tendances confondues, qui la gouverne d’une main de fer depuis juillet 1962, quoiqu’en pensent les souverainistes de pacotille. D’aucuns auront compris qu’à l’heure actuelle ce scénario n’est pas encore viable pour raison de complicité criarde de la France et des USA avec le régime d’Alger.

Ainsi, pour éviter d’atterrir rapidement dans les poubelles de l’Histoire, il s’agissait donc simplement de s’entendre sur la recette de la sauce interne. On ne se bat jamais à mort entre pions zélés de la Trilatérale. La redistribution des cartes mettra tout ce beau monde d’accord pour cinq ans au moins, le temps nécessaire pour Ahmed Ouyahia, l’actuel premier ministre, le poulain favori des généraux, d’arriver à El-Mouradia à bord de son carrosse blindé.

Intra-muros, Bouteflika appliquera une « réconciliation nationale » version « Afa Allahou amma salaf / Effaçons tout et recommençons à zéro ». Suivie, comme l’indiquent déjà de nombreux indices révélateurs, d’une amnistie générale pure et simple.

Cela rappelle, la fameuse amnistie décrétée par Chadli Bendjedid à l’égard du groupe Bouyali en 1989. Le général-major Khaled Nezzar, le boucher d’Alger, responsable de la mort à la mitrailleuse lourde de plus de 500 jeunes en octobre 1988 et l’armée de tortionnaires qui rivalisa avec Aussares et ses nervis s’en trouvèrent, du coup, lavés par la machine judiciaire algérienne aux ordres.

Dans ce sens, il en est qui croient naïvement que la réconciliation-amnistie concoctée par les généraux et Bouteflika sera une fleur lancée aux GIA et autres GSPC, un immense panier à crabes qui fait vomir d’horreur et de dégoût à chaque fois que l’on s’intéresse de trop près à son contenu nauséabond. Finalement déversé sur la place publique par les révélations des dissidents de la SM à l’instar de l’adjudant-chef Tigha et du colonel Samraoui.

L’on apprend, en substance, que les GIA sont une création du DRS. Une réalité qui dépasse la fiction, rendue possible par une gestion politique et sécuritaire machiavélique et par une doctrine intégriste entretenue de longues années durant pour contrer un éventuel sursaut démocratique salvateur. Les GIA servant à maintenir un degré élevé de terrorisme aveugle maintenant la société dans un état comateux propice à la maffia militaro-financière pour faire passer, comme une lettre à la poste, tous ses projets douteux et pousser l’Algérie vers un point de non retour.

Quant au GSPC, qui se différencie tactiquement des GIA par ses attaques “ciblées” contre les militaires , il viserait plusieurs objectifs. Dont le maintien d’une pression directe sur les troupes et les cadres de l’institution militaire pour les “motiver”. Ces derniers continueront, de ce fait, à appliquer les ordres des généraux sans se poser trop de questions. Tout indique qu’un autre objectif, et non des moindres, après le 11 septembre 2001, a été d’établir le lien « propice » entre le GSPC et El-Qaïda pour justifier l’injustifiable. Offrir sur un plateau d’argent à une puissance étrangère, les USA en l’occurrence, le prétexte idéal pour justifier sa présence militaire sur le territoire national et précisément au Sud.

Cette réconciliation alibi, porte ouverte à l’impunité tous azimuts, basée sur la fuite en avant et la culture de l’oubli, sera la machine à laver magique qui, à l’instar des assassins et des tortionnaires d’octobre 88, permettra aux généraux de tirer un trait sur tous les massacres impunis, de Bentalha et autres Béni Messous en passant par Serkadji, etc…

Aussi, n’en déplaise à Bernard Henri Lévy, Rachid Boudjedra and co, il est désormais indispensable de se poser, haut et fort, la question du « Qui tu qui? » ainsi que de la gestion maffieuse de l’Algérie par les généraux. Deux faces d’une même pièce.

Dans la foulée de la commémoration de la journée internationale de la liberté d’expression et de presse, il est sans doute utile de rappeler que ces questions et d’autres encore restent pour tout journaliste algérien épris de vérité et de justice une ligne rouge à ne pas franchir au risque de subir les foudres assassines du régime militaire d’Alger. Même si Bouteflika est là pour noyer le poisson dans l’eau.

Quel est ce responsable de publication qui aura la folie de faire paraître un article dans lequel les lignes rouges seront foulées du pied pour le triomphe de la vérité ?

Il existera toujours des esprits chagrins ou en mission commandée qui rétorqueront qu’en Algérie, on peut même insulter le président de la république sans courir de grands risques. Et ce serait là, selon cette rhétorique empreinte de mauvaise foi ou d’ignorance de la réalité algérienne, la preuve absolue de la consécration de la liberté d’expression et l’engagement du régime d’Alger dans la voie prometteuse de la démocratie. Il est de notoriété publique qu’un président en Algérie n’est qu’une cerise sur le gâteau et que le journalisme d’investigation est le chemin le plus court vers la tombe.

Le cartel des généraux, noyau dur de la maffia militaro-financière, fait la pluie et le beau temps et n’admet aucune incartade pouvant jeter quelque lumière sur son redoutable pouvoir de nuisance.

Ainsi, parler à l’excès de maffias locales, sujet à la mode, sans en référer au centre militaro-maffieux, qui détient la réalité du pouvoir politique et économique et dont elles ne sont que des excroissances organiques, devient une diversion coupable.

Il n’est un secret pour personne que rien en Algérie, hier et aujourd’hui, ne peut se faire sans l’assentiment des généraux, véritables agents de propagation d’un SIDA national meurtrier. Les responsables de la firme Daewoo en savent quelque chose. Société dont le responsable de son antenne à Alger a été assassiné d’une manière horrible pour n’avoir pas saisi les règles du jeu algérien. Il sera remplacé illico presto par le fils du directeur de la sécurité militaire (DRS), le général-major Médiène.
Depuis, Daewoo fait de très bonnes affaires en Algérie.

Allez enquêter et tenter de publier des articles sur les tenants et aboutissants de ces affaires sordides qui éclairent la face maffieuse et criminelle (secret de polichinelle !) du pouvoir et vous n’aurez même pas le temps de vous mordre les doigts…

Il est des milliers de cas brûlants qui sonneront votre glas si jamais vous vous y frottez.

Dans le chapitre de la création, l’infiltration et la manipulation des GIA, les exemples ne manquent pas. Citons, à titre d’exemple, le cas de Moulay Embarek, alias « Embarek » natif d’El-Aghouat, injecté par le DRS dès la fin des années 80 dans les milieux islamistes algérois et fréquentant un des hauts lieux de la contestation radicale de l’époque, la mosquée « Ennour » du Climat-de-France. Terroriste dès 1992, Embarak a écumé les hauteurs d’Alger (El-Biar, Ben Aknoun, Bouzaréah …). Responsable de nombreux hold-up et assassinats, ce proche de Said Guéchi, agent du DRS, membre fondateur du FIS et ministre sous le gouvernement Sid-Ahmed Ghozali, se permettait de rendre caduques les avis de recherche concernant les membres identifiés de son groupe terroriste. Quelques heures après sa mort survenue suite à un accident de voiture à Aïn-Oussara (Djelfa), tous ses subordonnés, une trentaine environ, ont été arrêtés…

Il en est de même du cas du fameux Athmane Khelifi alias « Hocine Flicha », chef terroriste ayant écumé l’Algérois il y a quelques années et dont le refuge se trouvait, par on ne sait quel miracle, à une centaine de mètres à vol d’oiseau de deux imposantes casernes à Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger. L’une appartenant au DRS (Sécurité militaire) et l’autre à la DGSN (centre de transmissions). Le jour de son élimination, la télévision algérienne montra ledit refuge complètement détruit par des tirs de RPG ainsi que des cadavres alignés côte à côte dont l’un était celui de « Flicha ». En arrière plan, les téléspectateurs pouvaient apercevoir, derrière des habitations en construction éparses, une végétation touffue et quelques arbres. Le cameraman ne s’est évidemment pas retourné pour filmer les deux casernes.

Quel est ce journaliste algérien qui peut faire sortir des oubliettes et faire publier une enquête sur les très graves accusations de Kadi Heziel (ex-directeur de l’action sociale de la wilaya d’Oran) qui croupit actuellement à la prison d’Oran, mettant en cause le général-major Kamel Abderrahmane, l’actuel chef de la 2ième région militaire ayant occupé de hautes fonction au sein de la SM, et l’accusant, preuves à l’appui, d’être le parrain d’un trafic de drogue international?.
La vie de Kadi Heziel a été sauve uniquement parce que son cas était connu. Il avait eu la candeur d’envoyer un rapport détaillé au sujet de cette affaire à Bouteflika, croyant sans doute sincèrement que ce dernier était le Zorro espéré.
Kadi Heziel a été accusé de détournement de pensions… !
En vérité, le général-major Kamel Abderrahmane n’a fait qu’exécuter les ordres de ses chefs. Toutes proportions gardées, c’est le John Negroponte (1 ) algérien.

Peut-on remettre sur le tapis l’assassinat en 1993 de Kasdi Merbah, président du parti politique MAJD et Ex-directeur de la SM sous Boumédienne, par un groupe islamiste armé commandé par Hassan Hattab (2) et assisté par des experts du DRS, à Bordj El-Bahri (Cap Matifou) à quelques trente kilomètres d’Alger sur une route très fréquentée, dans un lieu hautement sécurisé situé sur un axe ne dépassant pas deux kilomètres comprenant la base navale de Tamentfoust (Lapérouse), une brigade de gendarmerie, l’école militaire polytechnique (Ex-Enita) et une caserne de la garde républicaine ? L’exécution de Marbah survint quelques temps après son appel à l’ANP pour arrêter la stratégie éradicatrice dans laquelle les généraux l’avaient déjà fourvoyée. D’aucuns avaient interprété cet appel comme étant adressé plus particulièrement aux cadres intermédiaires de l’ANP. Quelques temps après cet appel, la majorité des titres de la presse privée se lancèrent dans une campagne médiatique d’une rare virulence contre Merbah. Ce dernier répliqua par un communiqué du Majd disant en substance « qu’il valait mieux s’occuper des services secrets étrangers qui agissent à Alger en vue et au sus de tout le monde ».

Ou ouvrir des dossiers puant la magouille et la grande corruption tel celui de l’affaire des radars connue sous le nom de « La France, les Usa et les radars » ou « l’affaire Thompson » qui fut l’une des raisons qui poussa le clan du général Belkheir, Médiène, Nezzar et Guénaïzia (l’actuel chargé d’affaires officieux des généraux algériens en Suisse) à déclarer la guerre à leur frère ennemi, le général Belloucif, ex-secrétaire général de l’ANP et ex-chouchou de Chadli Bendjedid.

Il y a de quoi noircir des milliers de pages concernant la corruption et la culpabilité criminelle du régime d’Alger. Mais les journalistes algériens sont bel et bien confrontés à des lignes rouges infranchissables.

Par ailleurs, bien avant les Belkheir, Médienne, Nezzar et Lamari, le pouvoir algérien a réussi à tisser des liens solides avec les puissants de ce monde. Ainsi, il est maintes fois arrivé à Georges Bush 1er, ancien chef de la CIA, alors gouverneur, de recevoir des millions de dollars de la part de Messaoud Zéghar (Zeggar), le fameux homme d’affaires et officier supérieur de la sécurité militaire algérienne éliminé par Larbi Belkheir durant les premières années du règne Chadli, et de parcourir les USA pendant ses campagnes électorales à bord de l’avion privé de ce dernier. Au même moment, le gaz algérien était acheté par la multinationale américaine El-Paso (même pendant la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et les USA suite à la guerre israélo-arabe de 1967) et l’armée française expérimentait ses armes chimiques et bactériologiques dans le Sahara algérien. Il est vrai que, chouchou de Boumédienne qui savait bien ménager le choux et la chèvre, Bouteflika a de qui tenir.

Le rejet de la concorde civile version Toufik Médienne et Smaïn Lamari par Abdelkader Hachani, ex-respondable du FIS, assassiné deux ans après sa sortie de prison, et la position nette et précise de Hocine Aït-Ahmed, secrétaire général du FFS (Front de forces socialistes), par rapport aux différentes mises en scène du pouvoir sont des paramètres révélateurs quant aux véritables enjeux et au repère dans lequel est en train d’évoluer l’Algérie.

Qui a peur de la justice et de la vérité? Après tant de malheurs et de traumatismes graves, l’Algérie ne peut absolument pas se relever si elle ne se regarde pas en face une fois pour toutes. Condition sine qua non pour pouvoir faire le ménage chez soi et ne pas reproduire les erreurs du passé, genre « Sept ans, ça suffit ! ». Comme ce fut le cas au lendemain du recouvrement de l’indépendance, lorsque l’armée des frontières, sous la direction de Boumédienne et les conseils malfaisants de Bouteflika and co, balaya d’un revers de main le rêve démocratique algérien.

Même si tout indique que, pour l’instant, le régime d’Alger a trouvé la parade pour s’en sortir, en enfilant la redingote des « vrais maîtres du monde »(3), personne ne peut affirmer de quoi sera fait l’après demain Algérien.

-Soleïman Adel Guémar –

(12.05.04)

(1) John Negroponte : Ancien de la CIA, patron des escadrons de la mort en Amérique centrale, il organisa un gigantesque trafic de cocaïne en direction des USA pour financier les Contras du Nicaragua. Le 19 avril dernier, il a été nommé ambassadeur des USA en Irak, après un passage à l’ONU.

(2) A l’époque des faits, le GSPC n’existait pas en tant que tel.

(3) « Les vrais maîtres du monde », par Gonzalez Matta, Ancien agent des services secrets espagnols et ex-fonctionnaire du ministère du commerce.