Algérie: A l’heure du grand déballage

ALGERIE : A l’HEURE DU GRAND DEBALLAGE !

Par Nour el Houda, 1 novembre 2003

Avant même de publier son dernier livre  » Bouteflika, l’homme et son bilan « , Khaled Nezzar a bénéficié d’une propagande et d’une publicité inhabituelles dans notre pays. L’ancien ministre de la défense agit donc au nom et pour le compte d’un courant politique qui se nomme les « éradicateurs. » Si K.N. voulait déclarer la guerre à Bouteflika, le réconciliateur, il ne se serait pas pris autrement.

Nous avons connu, dans un passé récent, l’attitude on ne peut plus agressive de ces  » éradicateurs  » lorsque l’on évoquait la nécessité d’une commission d’enquête nationale ou internationale pour faire la lumière sur les massacres de masse et sur les dramatiques cas des milliers de disparus qui ont été perpétrés et enlevés par des  » groupes armés  » sur l’ensemble du territoire algérien.

Dès son accession au pouvoir en avril 1999, Abdelaziz Bouteflika avait déclaré à de multiples reprises qu’il ne se contenterait pas d’être :  » un ¾  » de président.  » Autant dire qu’il se sentait à l’étroit dans sa cage dorée d’El Mouradia. L’enfant terrible de Oujda n’en est ni à une provocation, ni à une contradiction près.

La concorde civile qu’il avait initiée ou confisquée et reprise à son compte, est un succès indéniable. Elle a baissé le niveau de la violence de plusieurs degrés et sauvé des vies. Bouteflika n’aurait-il pas su ménager les susceptibilités de ceux qui l’ont porté au pouvoir ? En effet, après son accession à la tête de l’État algérien par la seule volonté de l’armée, et pour la remercier, il avait affirmé l’arrêt du processus électoral de janvier 1992 comme étant un acte de violence. Il a ajoué que s’il avait 20 ans il aurait pris le maquis. Et, il qualifiait les journalistes pro-putschistes de  » tiabet el hammam  » (masseuses de bains maures.)

Il a surtout nommé, récemment, une commission d’enquête  » vérité et conciliation  » qu’il a confiée à l’avocat Ksentini. Commission d’enquête ! Le mot de trop qu’il ne fallait pas prononcer à la face des  » éradicateurs  » dont Khaled Nezzar n’est que le poisson pilote.

La mafia politique et financière représentée par K.N est-elle dangereuse et quelle sont ses pouvoirs ? La S.M. (sécurité militaire) ou le DRS (département de recherche et de sécurité) appartiennent à des clans occultes aux intérêts souvent contradictoires. Il y a au moins autant de tendances que de patrons et de ministres de l’intérieur qui se sont succédés depuis sa création en 1958. Plusieurs courants ont possédé leurs  » escadrons de la mort « , des services très spéciaux, des chefs des DEC (délégation de l’exécutif communal) et chefs miliciens.

Pour légitimer leur incapacité à juguler la violence, les  » éradicateurs  » attribuaient aux GIA les caractères » groupusculaires », »atomisés » et « strictement cloisonnés « . Ces groupes seraient composés, du moins selon certaines versions, de trois individus tout plus : 2 membres et un émir. De telles organisations aussi réduites et aussi isolées, peuvent-elles sévir pendant 5 heures, de manière bruyante, à quelques mètres des casernes des forces de l’ordre, massacrer 417 personnes, éventrer les mères, piétiner les fœtus et les découper en morceaux ? Pourquoi l’armée n’était-elle pas intervenue pour secourir les victimes ou pour inquiéter les assaillants ? Et enfin pourquoi les autorités algériennes minimisent le nombre des victimes, à Bentalha par exemple, elles avaient annoncé 82 alors qu’il en a eu 417 ?

Aussi avons-nous constaté qu’à partir de 1995, à chaque élection voulue par le pouvoir, qu’elle soit présidentielles, législatives ou qu’il s’agisse de référendum, la violence s’estompait comme par enchantement. Donc il existe au sein du pouvoir algérien des éléments qui l’initient, qui l’orientent et qui la dosent. Il existe des indices multiples et concordants qui impliquent certains services des forces de l’ordre dans certains massacres de masse et dans plusieurs dizaines de milliers d’enlèvements. La question récurrente reste la nature des groupes armés. Qui sont-ils ? Qui les manipule ?

La commission  » vérité et réconciliation  » va certainement apporter quelques éléments de réponse à la question  » qui tue qui ? Les familles des disparus vont légitimement exiger la vérité et la justice avant toute réconciliation. Les ONG et l’opinion publique internationale vont soutenir ces familles de toute leurs forces, conformément au droit international. Un criminel doit passer aux assises !

Quand on regarde l’Algérie des Nezzar du haut de 40 années d’une « indépendance  » totalement confisquée par des politicards incultes et par une administration composée d’incorrigibles malappris et quand on a eu la chance ou la malchance, de connaître l’Algérie de 1962 et son  » magnifique héritage « , selon Ferhat Abbas, on ne peut s’empêcher de faire sienne de la devise d’Ibn Khaldoun :  » idha ‘ouribet khoubet  » En fait, l’auteur du 14éme siècle avait constaté que là où passaient les tyrans (beni Hilal) ils ne laissaient derrière eux ni arbres debout ni demeure habitable.

Le général à la retraite Khaled Nezzar et ses affidés osent encore proclamer que le coup d’Etat du 11 janvier 1992 a sauvé la république. Savent-ils au moins le sens du mot république ? Inutile d’être un grand clerc pour savoir que l’Algérie n’était pas une république avant 1992, elle ne l’est pas devenue après. Les islamistes n’y sont pour rien.

Si nous apprécions les dictateurs algériens par leurs états de service, leurs manières de s’exprimer, de se vêtir et par leur corpulence, c’est Charlot dans le « Dictateur » qui nous viendrait immédiatement à l’esprit.

L’ancien ministre de la Défense illustre parfaitement la véritable nature de nos « Charlots ». En octobre 1988, n’a-t-il pas dressé des chars surmontés d’automitrailleuses et fait tirer dans le tas, à balles réelles, à bout portant, sur des gamins, symboles de l’innocence à mains nues, qui avaient seulement commis le crime de rappeler à nos Amine Dada que leurs places étaient dans les casernes ?

Selon Ibn Khaldoun, historien et sociologue du 14éme siècle, à sa naissance, un enfant peut être éduquer pour faire le bien comme pour mal faire. Celui qui a été formé pour faire le bien, croyait-il, ne saurait mal faire et vice-versa. Le père de la sociologie considérait qu’une fois l’enfant orienté dès son enfance vers le bien ou vers le mal, il se constitue chez lui un  » ouzi’ el hichma  » (un réflexe de retenue) qui l’empêcherait de mal faire s’il a été programmé pour faire le bien ou de bien faire s’il a été programmé pour nuire.

A juger l’État de notre pays après 4 décennies  » d’indépendance « , le doute n’est plus permis: nos mafieux dirigeants ont été programmés depuis leur enfance, pour faire le mal. Il s’agit de détraqués qui ont perdu leur réflexe de retenue qu’impose la morale chez des individus normalement constitués.

Le coup d’État du 11 janvier 1992 a provoqué un désastre environnemental et un drame humain pour l’Algérie : 200 000 morts? 30 000 disparus ? 35 milliards de dollars d’infrastructures sociales et économiques de détruites ? 2 millions de cadres, médecins, architectes, ingénieurs, techniciens, ouvriers qualifiés… en majorité des jeunes et dynamiques, indispensables pour le décollage économique et social de notre cher pays, ont fui la  » république  » des NEZZAR. Cet acte de violence n’est-il pas une victoire temporaire des barbares sur des femmes et des hommes policés et civilisés ?

Collaborateur de l’armée coloniale, assassin, tortionnaire et violeur d’enfants de l’Algérie, programmé depuis sa naissance pour nous mépriser et pour nous trahir, que peut Khaled Nezzar nous apprendre sur la mafia de Oujda que nous ne sachions encore ?

La plupart des membres du groupe de Oujda sont nés au Maroc. Leurs honorables parents ont quitté l’Algérie, pour des considérations strictement personnelles, sans aucun rapport avec le nationalisme algérien. Aussi faut-il savoir qu’ils ont intégré la révolution algérienne pour en faire leur fond de commerce illicite, qui les a rendus riches et puissants. Ils ont détourné et vendu au marché noir les aides internationales destinées aux réfugiés algériens présents sur le sol chérifien. Autant dire qu’ils ont frustré et affamé ces déracinés, ces meurtris et ces misérables réfugiés sans défense.

Pendant la révolution, ils se pavanaient au Maroc à bord de voitures haut de gamme que le prince héritier Hassan II, qui n’avait rien de révolutionnaire, ne pouvait s’offrir par pudeur. Ils figuraient comme étant les clients les plus fidèles de la  » Ma’mounia et des hôtels de grand luxe du Maroc. Une tenancière d’un bain maure de Oujda approvisionnait en jeunes filles musulmanes le réseau de prostitution tenu par cette mafia qui les mettaient dans les lupanars de Tanger, de Casablanca et d’ailleurs. Notre pays a à sa tête des proxénètes politiques !

Ils ont assassiné Abbane Ramdhane, le capitaine Zoubir et exterminé sa section. Ils ont envoyé le colonel Lotfi, lesté d’un radio émetteur ANGR9 élaboré pour indiquer la position de ses porteurs dans l’espace et dans le temps, acheté par le Malg, à une multinationale ouest-allemande, à la demande expresse des services coloniaux. En livrant Lotfi, l’un de plus prestigieux colonels de notre révolution et l’un des principaux obstacles à leur commerce illicite et à leurs néfastes ambitions, le groupe de Oujda avait ainsi signé l’un des plus monstrueux acte de lâcheté de toute l’histoire d’Algérie.

En effet, le colonel Jaquin, chef des services spéciaux de l’armée coloniale et ses légionnaires avaient attendu Lotfi et ses compagnons dans une zone quasi désertique de Colomb-Béchar. Surpris, à découvert, le prestigieux colonel et ses compagnons, ont été massacrés par l’aviation, les blessés achevés et ceux qui avaient tenté de se rendre, froidement abattus par les légionnaires sous les ordres de Jaquin.

L’ennemi récupèra le poste émetteur, il se substituaà Lotfi dont la mort n’avait pas été ébruitée. Ainsi, le groupe de Oujda a fonctionné sous les ordres directs des services coloniaux pendant plus de trois mois. Le groupe de Oujda avait financé les services Jaquin qui se faisait passer pour Lotfi et qui demandait des renforts et des finances aux traîtres de Oujda. Ceux-ci se précipitaient de lui envoyer tout djoundi valeureux. Préalablement informés de l’arrivée des renforts, les légionnaires de Jaquin les massacraient et récupéraient leurs armes et les fonds.

Quant aux brigands de l’Est, de Ghardimaoui (la caverne sanglante), à qui appartient Khaled Nezzar, ils ne sont pas moins cruels. A partir de 1956, l’empire français avait décidé de se défaire de l’Algérie coloniale qui était considérée comme étant stérile et trop coûteuse pour les contribuables français, mais il avait temporisé afin de former des seigneurs locaux et leur transmettre le pays. Le 22 octobre 1956, les dirigeants de la Révolution se rendaient du Maroc vers la Tunisie pour rencontrer des émissaires coloniaux et pour poursuivre des pourparlers de paix. Ben Bella, le premier président de la république algérienne, déclara il y a quelques mois à la chaîne de télévision Al-Jazeera :  » nous nous rendions (Aït Ahmed, M. Boudiaf, M. Khider, M. Lachraf et Ben Bella), en Tunisie, porteurs d’un projet de paix susceptible, sinon de mettre fin à la guerre, du moins à l’abréger de plusieurs années. « 

La puissance coloniale d’alors avait préféré ses fidèles serviteurs. Elle avait créé à la hâte la  » promotion Lacoste « . Il s’agissait de recruter et de former les fils des familles algériennes qui avaient déclaré leur allégeance à l’empire colonial avant de les envoyer en mission à la base-arrière de Tunisie pour y former une cinquième colonne. Les services coloniaux montaient des opérations sélectives tuant les valeureux et authentiques cadres du FLN/ALN en sauvegardant les traîtres pour leur permettre d’accéder à la direction de la résistance algérienne.

La cinquième colonne de l’Est a assassiné les colonels Amouri, Nouaoura, Aouachria, le Capitaine Lahal. Elle a contraint le colonel Ali Hambli et ses 156 djounoud puissamment armés, qui avaient refusé de se battre sous les ordres des harkis fraîchement convertis et de risquer leur vie pour des crapules, à se rendre aux forces coloniales.

Les membres de la mafia de Oujda et les coupeurs de routes de Ghardimaou ne sont ni ministrables ni présidentiables. Il s’agit d’intouchables au sens répugnant du terme. Ils sont programmés, depuis leur prime jeunesse, pour exploiter, haïr et trahir le peuple algérien.

Khaled Nezzar et ses nervis prétendent que grâce au coup d’Etat de janvier 1992, l’Algérie  » est encore debout.  » A-t-on demandé l’avis des 1.500.000, soit un Algérien sur deux, qui vivent sous le seuil de la misère, des victimes des tremblements de terre d’El Asnam en 1980, de Nadhor en 1989 et plus récemment de Boumerdès, et à ceux de la tempête de Bab el Oued…? Ont-ils été correctement traités et convenablement relogés ? Pour eux, l’Algérie tient-elle encore debout ?

Les marionnettes et autres épouvantails du régime qui effrayaient les Algériens dans un passé récent, à présent ne font plus peur à personne. Les alliés d’hier – les khalida, Leila, Malika, Gluksmann, Henri-Lévi, Sid, Redha, Hachemi et autres Kahn, soutiens inconditionnels des généraux d’Alger, une fois gavés, se détournent et fuient les tenant du pouvoir algérien, comme des mouches qui changent de tas.

La lecture de :  » Bouteflika, l’homme et son bilan « , indique que les éradicateurs vont bientôt passer à l’attaque et leurs possibilité de nuisance sont nombreuses et variées. Ils vont probablement tenter d’intimider voire même de liquider Ksentini et les membres de sa commission pour l’empêcher de mener à bien son enquête commandée par Bouteflika.

Ils vont aussi réactiver leurs escadrons de la mort et leurs réseaux dormants du GIA afin de réactiver la violence, tenter d’empêcher que les prochaines présidentielles se déroulent dans les délais fixés par la constitution. Ils vont aussi, tenter de congédier Bouteflika au terme constitutionnel pour bilan insuffisant ou négatif. Le peuple, selon les éradicateurs,  » étant immature pour l’épreuve de la démocratie « , ils vont remettre au goût du jour, avec l’aide des nostalgiques de l’âge d’or du régime, 1965/1989, une dictature militaire à parti unique et à la pensée primitive. Ils sont avertis, s’ils touchent à un seul cheveu de Ksentini ou à un membre de sa commission, ils seront tenus pour responsables. Idem en cas de résurgence de la violence pendant la campagne des prochaines présidentielles.

En réalité, tout semble indiquer que l’ancien ministre de la défense vient de signer sont chant de cygne, le dernier coup d’éclat d’un homme fragile, aux abois. Ibn Khaldoun dirait que son moulk est suspendu dans le vide.

Ne serait-il pas bien inspiré de présenter ses plates excuses, à l’instar du général polonais Jaruzelski, pour tout le mal qu’il a fait à l’Algérie, avant de se retirer, définitivement, en espérant se faire oublier ?

Les présidentielles du printemps 2004 ramèneront, comme un boomerang, la question :  » qui tue qui ? Khaled Nezzar ne trouvera personne pour qualifier ceux qui la posent  » d’obscènes et complices des barbares.  » La question sur les disparus sera au cœur des débats. Comme chacun sait, la silhouette des commanditaires du génocide de notre peuple, du moins pour ceux qui font encore semblant de douter, paraîtra à grands traits et au grand jour.

L’ultime livre de khaled Nezzar vise, beaucoup plus, à tromper l’opinion qu’à l’éclairer. Dans tous les cas de figures, les prochaines élections présidentielles, si élections il y a, seront marquées par un grand déballage de linge sale de nos dirigeants sur la place publique. Il serait sage de se prémunir de masque pour atténuer les puanteurs. Mais un animal blessé et aculé, qui n’a plus rien à perdre, peut être imprévisible et dangereux. Restons vigilants.