O. Benderra: « La privatisation réussie en Algérie est celle du champ politique »

« La privatisation réussie en Algérie est celle du champ politique »

 

Interview avec Omar Benderra, consultant, PDG du Crédit populaire d’Algérie (CPA) 1990-1991″Les Afriques » n° 8 du 6 au 12 décembre 2007

Une semaine après le gel de la cession du CPA. Un ancien de ses PDG revient pour les Afriques sur les difficultés à privatiser en Algérie.

 

 

1 – La volonté de gouvernement de remettre en selle les banques qui se sont retirées de la privatisation du CPA s’explique-t-elle par un souci de sortir d’un tête à tête avec les banques françaises?

 

Je crois surtout qu’il s’agit d’une situation où les différents groupes d’intérêts – les « décideurs » – n’ont pu se mettre d’accord sur le nom d’un repreneur. Il est notoire dans le petit milieu bancaire franco-algérien que chacun des concurrents bénéficie du soutien d’un « sponsor ». Ces derniers jours, de nombreuses informations circulent sur le marché à propos d’intermédiations douteuses plus ou moins concurrentes et d’appétits contradictoires. Je pense que la décision, justifiée de manière plutôt maladroite, a été prise devant le retrait – prévisible – de certains soumissionnaires désireux de manifester leur mauvaise humeur devant les atermoiements algériens.

 

2 – La demande de report du Crédit Agricole qui aurait pu profiter du retrait de Citibank a été vécue comme une mauvaise surprise à Alger. Qu’est ce qui est en cause, la volonté de CA de reprendre le CPA ou sa capacité à le faire ?

 

Croyez vous que cette banque parmi les plus importantes d’Europe soit si mal en point qu’elle ne puisse assumer le prix d’achat d’un petit établissement financier algérien ? L’explication est d’un autre ordre.

 

3- Le président Sarkozy est à Alger. Y a t’il un lobbying français en faveur d’une des banques et y aurait t-il des canaux algériens de ce lobbying.

 

Il n’y aurait rien de scandaleux qu’un chef d’Etat, en ces temps mercantiles, défende les intérêts des firmes de son pays. C’est un rôle que les dirigeants européens sont fiers d’assumer. En l’occurrence, je vois mal le chef d’Etat français intervenir en faveur d’une banque française en particulier…Mais est-il besoin en l’espèce d’un lobbying politique ? Les groupes d’intérêts franco-algériens sont suffisamment puissants et suffisamment représentés au sommet des appareils algériens. L’absence des banques d’autres pays, européens ou asiatiques, est la confirmation qu’elles considèrent l’Algérie comme un appendice du marché français. Seraient-elles dans l’erreur ?

 

4 – Le gouvernement a défendu sa gestion des réserves de change. Qu’en pensez-vous ?

 

La totalité des recettes algériennes est libellée en Dollars et l’essentiel des importations est facturé en Euros. Compte tenu de la dépréciation de la monnaie américaine et de la structure du commerce extérieur, il est clair que le pouvoir d’achat du pays est impacté. Mais, au fond, dans une période de baraka pétrolière et d’impotence économique ceci n’est pas décisif. L’argent congelé ne servant pas à la dynamisation de l’activité ou à la prise en charge des questions sociales mais à des dépenses somptuaires où l’outrance et la corruption atteignent des altitudes inédites.

 

5- M. Ghazi Hidouci (ancien ministre algérien des finances) a suggéré une prise de participation substantielle dans une banque étrangère comme moyen d’organiser la modernisation du système bancaire. L’option est-elle viable ?

 

Oui, nous avions essayé de le faire dans les conditions financières tout à fait adverses et les circonstances politiques pré-putschistes de la fin des années 80. Des prises de participation pourraient constituer effectivement le moyen, parmi d’autres, d’accéder directement à des marchés et des techniques qui sont autrement plutôt fermés à des institutions financières de pays comme le notre. Il avait été également envisagé d’ouvrir le capital de certaines banques publiques à des banques étrangères et permettre, via des contrats de management, à ces banques de jouer un rôle dans la gestion des établissements nationaux. Il y a plus d’une manière d’ouvrir l’économie à la modernité…La privatisation n’est pas la solution miraculeuse que de tardifs convertis au libéralisme essaient de nous présenter. A l’inverse, cela peut être un remède pire que le mal. Je pense, par exemple, à l’expérience argentine. On ne privatise pas pour des raisons psychologiques ou pour envoyer je ne sais quel message aux marchés internationaux. Ce sont des banques publiques qui ont essentiellement financé la reconstruction du Japon, ce sont des banques d’Etat qui ont notamment permis le décollage économique de la Corée du Sud et de la Malaisie. Dans notre pays, l’absence d’une politique économique, qui intégrerait des modes de privatisations dans le spectre de ses moyens d’action, n’est pas un problème technique. Cette absence est paradoxalement au cœur d’une désorganisation volontaire plus globale et d’une authentique privatisation, réussie celle-là, du champ politique.