L’Algérie se débat, l’ONU se déplace

Droits de l’homme: l’Algérie se débat, l’ONU se déplace
Le rapport présenté par le gouvernement algérien a été vivement critiqué à Genève tandis qu’une délégation arrive à Alger.

José Garçon, Libération 23 juillet 1998

Depuis le début des affrontements qui ensanglantent le pays, l’Algérie avait tout fait pour ne pas s’expliquer devant le comité des droits de l’homme de l’ONU à Genève. La présentation -avec trois ans de retard- du rapport qu’elle s’est résolue à défendre, lundi et mardi, devant ce comité a donné lieu à de virulentes critiques de l’ONU. «Dialogue franc» et débats «sportifs», résumait, mardi, au cours d’une conférence de presse, la présidente (française) du comité, Christine Chanet. Soulignant que le phénomène du terrorisme n’a «jamais été contesté quant à son ampleur et son horreur», elle estimait «particulièrement grave» qu’en Algérie «les citoyens n’aient plus confiance dans les forces de sécurité de leur Etat». La protection des populations est «défaillante», précisait-elle, et l’Etat, de ce point de vue, «ne remplit pas son rôle».

Forte de quatorze personnes, la délégation algérienne n’a visiblement pas réussi à convaincre la plupart des dix-huit experts onusiens chargés de vérifier si l’Algérie respectait le pacte international pour les droits civils et politiques dont elle est signataire. Déjà, nombre de ces experts avaient regretté le caractère trop général, juridique et sans précisions concrètes du rapport remis par Alger. Guère plus précises, les réponses de la délégation aux questions du comité sur les disparitions, la torture, les exécutions extrajudiciaires et la non-intervention des forces de sécurité lors de certains massacres n’étaient pas faites pour donner crédit à ses thèses. Les Algériens s’en sont tenus à répéter que le «terrorisme est le grand responsable de la situation des droits de l’homme». Cet argument, a estimé Christine Chanet, a conduit à un «dialogue de sourds», car, même dans une telle situation, «l’Etat doit exercer ses prérogatives selon les règles du droit».

En fait, «l’incapacité patente (remarquée par plusieurs ONG) de la délégation à répondre précisément aux interrogations et inquiétudes des experts» a irrité ces derniers. Autant que des contrevérités consistant, par exemple, à affirmer que les tueries aux portes d’Alger avaient eu lieu «relativement loin des casernes». L’ONU s’est aussi inquiétée de l’absence de contrôle des milices d’autodéfense armées par les autorités, un expert parlant même de «terrorisme d’Etat». Le chef de la délégation algérienne, Mohamed-Salah Dembri, s’en est déclaré «profondément choqué». Les milices font que «tout civil devient une cible quasiment militaire», a néanmoins estimé Christine Chanet, déplorant «le déficit de l’Etat de droit en Algérie».

La tentative maladroite de Mohamed Salah Dembri de s’abriter derrière le CICR, «qui a eu des relations tout à fait normales avec l’Algérie et pourrait visiter des prisons lors de sa venue en octobre», n’a rien arrangé. Dans un communiqué publié dès mardi soir, le CICR a rappelé que, «depuis 1992, il n’a pas de présence permanente en Algérie». Et «qu’aucun accord (sur la reprise de ses activités humanitaires) n’a pu être trouvé à ce jour».

C’est dans ce climat qu’une «mission d’information de l’ONU», la première depuis le début des affrontements, est arrivée hier à Alger. Dirigée par l’ancien président portugais Mario Saores et composée de six personnalités, parmi lesquelles Simone Veil, cette ONU, en visite à Alger pour quinze jours, pourra-t-elle se montrer moins rigoureuse que l’ONU siégeant à Genève? Le gouvernement algérien l’espère et a précisément choisi de faire coïncider son invitation avec la réunion de Genève, afin de désamorcer les critiques. La campagne sans précédent menée par les médias publics et l’agence officielle APS pour expliquer que cette mission permettra de «donner une image réelle du pays et du processus de démocratisation» laisse peu de doute sur les attentes d’Alger. Cette visite, a même précisé l’APS, «tendra à mettre fin au débat inquisiteur et au chantage aux droits de l’homme, et l’Algérie, qui n’aura plus alors à s’épuiser dans des campagnes d’explication et de sensibilisation, pourra alors consolider, en toute sérénité, sa place naturelle sur la scène internationale».

Alger compte, de toute évidence, que les «politiques» qui composent la délégation soient plus sensibles à ses arguments que ne l’auraient été des techniciens habitués à s’en tenir aux faits. Ce calcul n’a pas empêché les autorités algériennes de prendre des précautions. Elles ont fixé, par écrit, le cadre de cette «mission d’information»: «ni enquête, ni mandat d’établissement des faits», elle ne «donnera lieu à aucune forme de suivi», ce qui ferme la porte à une éventuelle venue de «rapporteurs spéciaux de l’ONU» réclamée par des personnalités ou partis algériens, les Etats-Unis ou les organisations humanitaires internationales. Ultime verrouillage: les six personnalités mandatées par l’ONU ne pourront rencontrer les «hors-la-loi», c’est à dire les responsables du FIS. Une gageure pour la mission Saores, au moment où le comité de l’ONU regrette «l’opacité des enquêtes» menées en Algérie.

 

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