« Le statut dérogatoire des Algériens en France demeure toujours »

Abdelaziz Ziari, secrétaire d’etat de la communauté nationale à l’étranger

« Le statut dérogatoire des Algériens en France
demeure toujours »

Propos recueillis par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 1 septembre 2001

Abdelaziz Ziari a bien accepté dans cet entretien de clarifier certains points contenus dans le troisième avenant de l’accord algéro-français de 1968 et que les deux parties ont paraphé conjointement le mois de juillet dernier.

Les autorités algériennes et françaises ont signé en juillet dernier conjointement le troisième avenant aux accords franco-algériens de 1968. Pourriez-vous nous évoquer les points positifs de cet avenant ?
Cette signature est venue à la suite d’une demande faite par les autorités algériennes au gouvernement français pour reprendre justement cet accord de 1968 qui a déjà fait l’objet de deux avenants dont le dernier remonte à 1995. Or, nous n’étions pas très satisfaits parce qu’il nous a obligés à prendre quelques décisions difficiles pour le pays puisqu’il y a eu quelques concessions qui ont été faites dans cet avenant qui n’étaient pas des plus favorables pour nos ressortissants en France. Il nous paraissait donc impératif de reprendre cet accord et d’aboutir à un troisième avenant et de faire bénéficier nos concitoyens de toutes les dispositions introduites dans la loi Chevènement de 1998 et certaines facilitations dont ils ne disposaient pas dans l’accord bilatéral. Le premier point c’est – là, je reprends une affirmation que j’avais lue dans un journal français où il est dit que les Algériens perdaient leur statut dérogatoire – alors là pas du tout. Bien au contraire, toute la relation algéro-française était basée sur la nécessité de garder ce statut particulier en matière de circulation des personnes donc un accord international qui nous donne droit de vue sur le sort réservé à nos concitoyens, contrairement à ceux qui seraient régis que par la loi interne, ce qui est le cas de la plupart des étrangers qui résident en France. Nous, nous bénéficions d’un accord international dans le cadre bilatéral qui, une fois ratifié, restera toujours supérieur à la loi interne comme le stipule le droit international. Effectivement, il y a des tentatives pour nous intégrer dans le droit commun, ce que nous avons toujours refusé parce que nous estimons que les relations algéro-françaises, en raison de leur caractère particulier, nécessitent que l’on ait un accord spécifique. Il y a donc toujours le statut dérogatoire.

La renégociation de l’accord de 1968 et l’introduction du troisième avenant ne signifient-elles pas pour les autorités françaises un juste retour à l’égalité du traitement des dossiers des Algériens avec ceux des autres étrangers, conformément à la loi Réséda ? Sinon, en pratique, où réside la particularité de l’accord ?
Mais je vous dis que lorsque les ressortissants d’un pays sont régis par un accord international, cela vous donne d’autant droit de regard sur l’accord dont vous avez convenu d’autant qu’il y a une commission mixte qui est chargée de voir si cet accord est respecté ou pas. Les facilitations consacrées par la loi Chevènement figurent aujourd’hui dans l’accord bilatéral, chose qui n’existait pas auparavant. Avant, les problèmes de nos ressortissants étaient gérés selon les convenances des préfectures, ce qui a poussé les Algériens à se plaindre…

Vous venez d’évoquer la commission mixte algéro-française. A-t-elle déjà existé ?
Elle va être reconstituée prochainement surtout pour suivre l’application de l’accord qui vient d’être signé puisqu’il n’y a pas eu de suivi par le passé de ce qui a été convenu entre les deux pays.
Vous avez aussi parlé de plaintes. Justement, des organisations de défense des émigrés jugent que ces modifications sont intervenues tardivement alors que des centaines d’Algériens ont été  » maltraités « , par l’administration française, depuis des années, sans que les autorités algériennes ne se manifestent officiellement…
Nous avons ouvert le dossier en avril de l’année dernière et nous l’avons achevé en mai dernier. Nous avons donc mis un an : une durée idéale pour renégocier un accord aussi important. Nous avions été vite parce que nous savions qu’il y a avait urgence. Pourquoi nous ne l’avions pas fait avant ? Vous le savez, c’était lié à la situation interne et le drame que nous avons vécu qui pouvait pousser nos négociateurs dans des positions de faiblesse. Il y avait beaucoup d’incertitudes chez certains pays puisqu’il y en avait qui préparaient l’avènement d’un régime des Talibans dans notre pays.

Concrètement, qu’est-ce qu’on retient de nouveau pour les Algériens dans ce troisième avenant ?
D’abord, ils bénéficient de toutes les différentes formules d’obtention de cartes de résidence. Désormais, peuvent prétendre à la résidence les Algériens qui viennent en France dans le cadre d’un travail scientifique, universitaire, artistique, au titre du regroupement familial, les parents de ressortissants de nationalité française et autres points positifs comme la prise en compte de la notion de Kafala par les autorités françaises ainsi que celle des enfants issus d’un second mariage. Il faut souligner que les nouvelles facilitations bénéficient aux Algériens en séjour légal en France. Je tiens à préciser au passage que, lors de la signature de cet accord, j’ai eu à discuter avec Daniel Vaillant et ses collaborateurs sur la situation des Algériens clandestins. Le ministre et ses collaborateurs ont été unanimes pour me dire que le nombre d’Algériens clandestins est insignifiant. Pour ce qui est des autres clauses de l’accord, ils bénéficient aussi pour nos retraités, nos malades en soins en France qui par le passé vivaient des situations extrêmement pénibles, notamment en matière de prise en charge. Nos retraités n’auront plus besoin de demander des visas à chaque fois qu’ils souhaitent se déplacer en France.

Est-ce que l’accord prévoit quelque chose de nouveau pour les étudiants algériens ?
Ils ont déjà la possibilité de travailler à mi-temps comme les étudiants français. Les gens oublient que nos étudiants travaillaient bien sûr mais de façon illégale. Aujourd’hui, c’est différent. C’est devenu un droit au même titre que la prise en charge par les autorités françaises du travail temporaire ou saisonnier pour les Algériens qui souhaitent travailler à ce titre en France.

Est-ce qu’il y a des possibilités de faire travailler des Algériens non résidents d’une manière temporaire ou saisonnière ?
Je pense que s’il y a eu accord c’est que c’est faisable. C’est déjà le cas de l’Italie et de l’Espagne qui ont fait savoir qu’il y a des quotas de travailleurs saisonniers qui sont ouverts pour différents pays. Avant, l’Algérie n’était pas concernée, aujourd’hui si, parce que nous estimons que c’est une position passéiste qui ne correspond pas à la réalité. A condition bien sûr que les droits de ces travailleurs soient scrupuleusement respectés.

Ne pensez-vous pas qu’on revient un peu à la logique de l’emploi de l’après indépendance, lorsque des milliers d’Algériens faisaient la queue devant les bureaux de main-d’oeuvre ?
Non! Là, c’était différent parce que c’était déjà un accord de main-d’oeuvre qui allait en France pour longtemps. Aujourd’hui, c’est différent. Je parle d’un travail temporaire ou saisonnier pour lequel des possibilités sont ouvertes.

Est-ce que la partie algérienne a eu des difficultés à défendre certains points et que la France a rejetés ?
On a d’abord demandé à ce que cet accord soit mis en oeuvre le plus tôt possible, mais on nous a expliqué que la législation française exigeait qu’il soit ratifié par le parlement. Le deuxième point que nous n’avons pas réussi à introduire dans l’accord c’est de faire bénéficier de la carte de résidence le conjoint non résident de retraités. Ce qu’il faut retenir d’essentiel, c’est que nous avons corrigé un déséquilibre qui était à notre désavantage.

Lors de votre visite à Paris, vous avez annoncé l’ouverture prochaine d’une école internationale algérienne et de la Maison d’Algérie. Pourriez-vous nous expliquer le rôle de ces missions et les services qu’elles procureront à notre communauté en France ?

La décision d’ouverture pour l’année prochaine d’une école internationale algérienne à Paris a été prise par le conseil des ministres. Mon souhait est d’ailleurs qu’on puisse ouvrir d’autres, par la suite. Là, il y a beaucoup d’Algériens qui éprouvent des difficultés à réinsérer leurs enfants. Le chef de l’Etat a insisté pour que cette école soit d’excellente qualité. Nous sommes en train d’aménager des locaux mais cette année sera peut-être une année probatoire où il y aura un enseignement spécifique, soit de langues soit complémentaire pour tester un peu le niveau des enseignants et voir la demande des enfants scolarisés.

Mais le programme retenu va être un programme algérien…?
Bien sûr, ce sera un programme national algérien en langue arabe et en français. C’est donc un enseignement validé.

Mais vous trouvez normal qu’on puisse parler d’un programme national alors que la réforme de l’enseignement vient d’être ajournée ?
C’est pour cela que je parle d’année probatoire. D’ici qu’on procède au démarrage d’un cycle entier, j’espère que la réforme de l’enseignement aura été décidée. Le démarrage à plein régime se fera à l’occasion de cette réforme, à l’occasion de l’année de l’Algérie en France et aussi de l’ouverture à Alger du lycée international de France.

Et la Maison d’Algérie ?
C’est d’essayer de mettre en place des maisons d’Algérie qui seraient des lieux de rencontre entre membres de la communauté algérienne en France où il y aura diverses activités culturelles et qui seraient sous la responsabilité du mouvement associatif qui serait lui chargé de les animer à sa convenance pour en faire des lieux de rencontres, de convivialité et de rayonnement de la culture algérienne. Ce ne serait pas en tout cas des entités administratives dans lesquelles on va détacher je ne sais qui. Nous ferons le travail avec les membres de la communauté.

Ces Maisons ne seraient-elles pas une réédition de l’Amicale des Algériens en Europe ?
Non, pas du tout! Et ce n’est pas du tout dans le même esprit. Ce qui ne va pas nous obliger à empêcher les personnes dynamiques issues de l’Amicale de travailler ou de s’organiser à travers le mouvement associatif.

A propos de l’année de l’Algérie en France, on en est où avec les préparatifs ?
Le mieux habilité à parler de cela, c’est Hocine Senouci, le commissaire chargé de préparer cet événement, ce qui est d’ailleurs une bonne chose que de le confier à une administration traditionnelle. Nos services consulaires et le mouvement associatif contribuent aussi à ces préparatifs, à travers la mobilisation et les contacts. Nous allons tous nous mobiliser pour que ça soit un succès.