Henri Tessier : “ J’ai des preuves ”

L’archevêque d’Alger affirme détenir des preuves que c’est bien les groupes armés extrémistes qui ont assassiné les moines de Tibhirine

Réaction de Ibrahim Taha

ALGER (AP 0504)) — L’archevêque d’Alger, Henri Teissier, a affirmé jeudi qu’il détenait des preuves que l’assassinat en mai 1996 des sept moines du monastère de Tibhirine, dans la région de Médéa (70km au sud d’Alger), avait été commis par des groupes armés extrémistes.

 »Quand le journal Le Monde a écrit que ce ne sont pas les groupes armés extrémistes qui ont tué les moines de Tibhirine, je leur ai moi-même adressé une lettre immédiatement, leur fournissant les preuves qui sont en ma possession et qui montrent que c’est bien de là qu’est venue cette violence », a déclaré Mgr Teissier dans une interview publié jeudi par le quotidien Le Matin.

 »J’ai moi-même entendu la bande enregistrée que les assaillants avaient réalisée le 18 avril 1996, soit près d’un mois après l’enlèvement des sept moines », poursuit-il.  »Ils avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars, et tués le 23 mai 1996. Près d’un mois avant leur assassinat, leurs assaillants les avaient fait parler. J’ai reconnu leurs voix. Je connais la voix de chacun d’eux. Dans cet enregistrement, les moines ont fait part de leurs craintes. Ils ont certifié que si les conditions des groupes armés n’étaient pas satisfaites, ils seraient exécutés », a précisé l’archevêque d’Alger.

Selon lui, la cassette de cet enregistrement a été déposée par  »un inconnu », à l’ambassade de France à Alger, qui  »lui a fait écouter la bande ».  »Il est vraiment difficile d’imaginer que ce ne sont pas ces groupes qui se sont emparés d’eux et qui les ont exécutés ».

L’archevêque d’Alger laisse entendre que c’est parce qu’il ne croit pas à l’implication de l’armée algérienne dans les massacres et assassinats qu’il a écrit la lettre adressé au Monde.

L’archevêque d’Alger parle de l’implication des groupes islamistes armés dans les massacres

Henri Tessier : “ J’ai des preuves ”

Le Matin, 6 avril 2001

Dans cet entretien qu’il nous a accordé en marge du Colloque international sur saint Augustin, l’archevêque d’Alger Henri Tessier déplore la persistance de la violence et évoque le silence des autorités devant les massacres. Il se félicite de la mobilisation de la société civile autour des victimes du terrorisme encore vivantes ou de leurs familles.

Le Matin : Paix et concorde sont les thèmes principaux de ce colloque. Est-ce que vous pensez, comme certains responsables algériens, que la paix est enfin en voie d’être retrouvée dans le pays ?

Mgr Tessier : Il suffit de lire les journaux tous les jours pour savoir que, malheureusement, beaucoup d’endroits isolés restent sous la pression de la violence. Je ne pense pas que nous sortirons de cette violence en la désignant tous les jours, mais en multipliant les actions pour la paix, les travaux qui rendent espoir aux jeunes et à la société entière.

Quelle interprétation donnez-vous au mutisme des autorités devant la multiplication des massacres ces derniers jours ?

Je ne situe pas ma préoccupation à ce niveau. Etant plus proche des associations, je sais qu’il existe de nombreuses personnes qui s’en préoccupent et prennent en charge les victimes de cette violence et leurs familles. Il y a quinze jours se sont réunies une quarantaine de personnes, représentant environ une vingtaine d’associations, afin d’entamer des actions dans ce sens.

Je peux vous dire en connaissance de cause qu’il y a beaucoup de personnes qui tentent d’effacer les séquelles de ces violences. A côté de la maison où j’habite il y a un bout de terrain qui vient d’être accordé à une association qui s’appelle Anesdi. Cette dernière construit actuellement une bâtisse dans le but de prendre en charge les enfants en difficulté.

Ce bâtiment est arrivé à son deuxième niveau. C’est très bien, car moi, je préfère regarder les travaux entrepris en faveur de la paix que de me lamenter sur ce qu’il n’a pas été fait il y a seize mois.

Pour certains, la vérité sur les assassinats et la condamnation des coupables sont un préalable à la paix. Etes-vous de cet avis ?

Je prends ma place dans cet effort. Quand le journal Le Monde écrit que ce ne sont pas les groupes armés extrémistes qui ont tué les moines de Tibhirine, je leur ai adressé une lettre immédiatement, leur fournissant les preuves qui sont en ma possession et qui montrent que c’est bien de là qu’est venue cette violence. Je ne peux pas, bien entendu, me prononcer sur les cas que je ne connais pas et sur lesquels je n’ai aucune information, mais quand j’ai un témoignage spécifique à apporter, je le fais.

Quelles sont ces preuves que vous dites être en possession ?

J’ai moi-même entendu la bande enregistrée que les assaillants avaient réalisée le 18 avril 1996. Soit près d’un mois après l’enlèvement des sept moines. Ils avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars. Ils avaient été tués le 23 mai 1996. Près d’un mois avant leur assassinat, leurs assaillants les avaient fait parler. J’ai reconnu leurs voix. Je connais la voix de chacun d’entre eux. Dans cet enregistrement les moines ont fait part de leurs craintes. Ils ont certifié que si les conditions des groupes armés ne sont pas satisfaites, ils seront exécutés. Leurs conditions, nous les connaissons, elles ont été notifiées dans les tracts que les groupes armés ont diffusés à l’époque. C’est la libération d’un certain nombre de chefs de ces groupes armés. Donc, il est vraiment difficile d’imaginer que ce ne sont pas ces groupes qui se sont emparés d’eux et qui les ont exécutés.

Comment vous est parvenue cette cassette ?

C’est un inconnu qui l’a déposée à l’époque à l’ambassade de France. Comme je connaissais très bien les moines de Tibhirine, l’ambassade m’a fait écouter la bande. J’ai tout de suite reconnu les voix des moines.

Cette cassette pouvait avoir été enregistrée avant l’enlèvement des sept religieux

Je n’ai aucun doute là-dessus, parce que les terroristes avaient demandé à l’un des moines, durant l’enregistrement, de résumer les nouvelles de Midi 1 diffusées le 18 avril sur cet évènement. Donc cela ne pouvait pas être un vieux enregistrement. Cette précaution prise, les kidnappeurs ont fait parler un autre moine qui a affirmé que lui et ses compagnons seront exécutés si les autorités ne répondaient pas aux conditions posées par les auteurs de l’enlèvement. Il s’agissait notamment de la libération de Layada.

Donc, vous ne croyez pas à l’implication de l’armée dans les assassinats et massacres ?

C’est la raison pour laquelle j’ai écrit la lettre que j’ai adressée au journal Le Monde.

C’est à chacun de se situer par rapport aux choses qu’il connaît. Citons ce livre qui a paru dernièrement. Celui de Souaïdia. Des amis habitant Lakhdaria m’ont certifié qu’ils le connaissaient bien. C’est un voyou, m’ont-ils affirmé. Il a participé à des exactions dans notre ville et volé des voitures. Il a été arrête par l’armée justement pour ce genre de dépassements.

Une personne que je connais bien m’a également rapporté qu’il est rentré chez elle et a tout mis par terre sous prétexte qu’elle cachait des armes. Ces faits, nous les connaissons par la relation qu’on a avec la société algérienne.

Tous ces évènements ajoutés à la violence qui persiste ne vous découragent pas ? N’avez-vous pas songé un jour à quitter l’Algérie ?

Je ne suis pas découragé parce que moi et mes compagnons nous n’agissons pas dans la confusion. On travaille avec tous ceux qui entreprennent des actions politiques pour le bien du pays. Il y a beaucoup de choses à faire. Les gens les font et c’est cela qui nous permet de regarder vers l’avenir et non pas nous obstiner à nous retourner vers le passé.

Y a-t-il en ce moment une menace sérieuse sur les religieux de confession chrétienne établis en Algérie ?

Menace, il y en a sur toute la société algérienne, pas seulement sur nous, si on passe au mauvais moment ou si on emprunte le mauvais chemin. Pour notre part, nous voulons justement choisir le bon chemin.

Revenons au colloque sur saint Augustin. Peut-on connaître la raison de votre présence ?

Dès que le Président Bouteflika a fait part en octobre 1999 au conseiller fédéral suisse Joseph Deiss, en visite à Alger, de son souhait d’organiser ce colloque, l’ambassadeur actuel de ce pays, avec qui je suis en amitié depuis son arrivée, a décidé de m’associer aux préparatifs. Ce qui m’a décidé également, c’est mon lien avec le défunt Abdelmadjid Meziane, un compagnon de trente longues années, à qui était, avant sa mort, dévolue cette tâche. Donc, ma présence à cette rencontre est le fruit de près de dix-huit ans de travail à côté des autres membres du comité de préparation de cette rencontre.

Beaucoup de gens se sont élevés contre l’organisation de cette rencontre. Comment avez-vous vécu ces pressions ?

Je pense que la tenue de ce colloque vise justement le changement des mentalités dans une société qui n’est pas habituée à accepter qu’un chrétien par ses racines profondes ait sa place dans le pays.

Les participants à cette rencontre ont tenté de présenter cette personnalité dans son rayonnement international, de telle manière qu’elle puisse être reconnue plus largement comme une personnalité née sur le sol algérien et qu’ainsi ceux qui avaient des craintes ou des appréhensions soient amenés à découvrir le génie propre d’Augustin et avoir un autre regard sur lui.

Seize siècles nous séparent de la concorde et la paix auxquelles a appelé Augustin et la paix et la concorde de Bouteflika sur le même sol. Entrevoyez-vous des similitudes entre les deux démarches ?

Il est clair que l’insistance faite par saint Augustin dans ses uvres sur le thème de la paix montre que c’est un besoin très important pour toutes les sociétés humaines. Au temps d’Augustin, il y avait un besoin de paix et au temps, qui est le nôtre, il y a également un fort besoin de paix. Je pense que le message qui est apporté par Augustin est un message de paix et le fait que des spécialistes de différents pays sont venus à ce colloque c’est aussi une contribution à la paix. Beaucoup de gens regardent l’Algérie de l’extérieur comme un pays où il n’y a que la violence. Nous qui vivons dans ce pays nous savons bien que chaque violence est une tristesse mais que fort heureusement chaque violence est tout à fait locale. Pendant ce temps le pays doit continuer à vivre.

Le rétablissement de la paix ne sera effectif que par la réunion de toutes les forces qui veulent que le pays sorte du tunnel. Aujourd’hui on est dans un colloque culturel. On y participe avec joie. Il y a quelques jours s’est tenu un colloque organisé par la fondation Schuman, davantage basé sur le politique, l’économique et le social, avec pour thème la relation entre l’Europe et le Bassin méditerranéen. C’est une autre forme de travail et de participation à cet effort.

Il faut savoir que dans notre petite communauté chrétienne, nous sommes nombreux à travailler avec les handicapés. Cela aussi est une action pour la paix. De même, à l’occasion de la journée du 8 Mars, j’ai souligné le rôle de la femme algérienne pendant cette crise et la place qu’elle doit occuper plus largement dans la société.

Entretien réalisé par Nissa H.

 

retour

algeria-watch en francais