Prof. Issad: «Benflis est qualifié pour dialoguer avec la Kabylie»

Dans un entretien à la Tribune, le professeur Mohand Issad estime :

«Benflis est qualifié pour dialoguer avec la Kabylie»

L’offre de dialogue formulée par le chef du gouvernement, Ali Benflis, en direction des arouch est, aux yeux de Me Mohand Issad, éminent juriste et professeur en droit international, «une bonne chose». C’est ce qu’il soutient dans l’entretien qu’il nous accorde et dans lequel il met l’accent sur la nécessité d’apporter «une solution politique» à la crise de Kabylie

Par Samia Mellal, La TRibune, 11 juin 2002

LA TRIBUNE : Le chef du gouvernement, Ali Benflis, vient de marquer sa disponibilité à dialoguer avec les arouch. Que pensez-vous de cette offre de dialogue ?

Me Mohand Issad : Elle est bonne et elle vient de Ali Benflis. Ce qui ne peut que faciliter les choses.

Vous dites que le dialogue avec les arouch va être facilité avec la venue de Benflis à la tête du gouvernement. Quels sont vos arguments ?

Il y en a plusieurs. Le premier, c’est que Benflis a réaffirmé très clairement sa disponibilité. Ensuite, la majorité que vient acquérir Ali Benflis à l’issue des législatives le conforte et lui donne plus d’autorité et de pouvoir. Enfin, je pense que Ali Benflis jouit d’un crédit considérable et est qualifié pour dialoguer avec la Kabylie.

Mais dans le contexte actuel marqué par la crise dans laquelle la Kabylie compte ses détenus par centaines et où les élections, malgré le boycott de cette région, ont été validées par le Conseil constitutionnel, pensez-vous que Benflis pourrait amener les arouch authentiques à la table du dialogue ?

Ecoutez, je vais reprendre la formule de ce célèbre sportif : «Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.» Si on fait des projections d’échec, personne ne pourra rien entreprendre dans ce pays. Quand on a un problème, il faut entreprendre de le résoudre, et il ne faut pas se poser à l’avance la question du résultat. Donc, je ne peux pas me livrer à la spéculation concernant la réussite ou l’échec du dialogue. Je sais une chose, c’est que Benflis est bien placé pour entreprendre quelque chose. Et il est le seul et le mieux placé pour cela.

Mais l’hypothèse de l’échec du dialogue que veut entreprendre Benflis avec les délégués des arouch plane toujours compte tenu de l’échec de celui initié avec les arouchs «taïwan». Pensez-vous, de ce fait, qu’actuellement, la donne a changé et qu’il y a véritablement des chances de faire aboutir le dialogue entre le pouvoir et les arouchs authentiques ?

Le dialogue n’est pas difficile à établir. Tout le monde est apte au dialogue et tout le monde se dit prêt au dialogue. Mais le problème est de savoir si le résultat est certain. Ça, ça l’est moins. Mais je dis seulement que le dialogue doit avoir lieu entre celui qui a le plus de chances de réussir actuellement (Ali Benflis, NDLR) et ceux qui, du côté des arouchs, détiennent le pouvoir de réussir ou de faire échouer une initiative qui ne vienne pas d’eux.

Vous pensez que les arouch authentiques qu’on qualifie de «radicaux» pourraient se mettre à la table des discussions avec Benflis ?

Il faut leur poser la question. Je m’interdis de répondre à leur place. Mais ce sont les seuls partenaires possibles. Il faut à tout le moins les consulter.

Mais vous, qui êtes en contact avec les arouch authentiques et qui avez été même contacté par les archs des Ouacifs pour être leur délégué, pouvez-vous prédire leur réaction par rapport à cette demande de dialogue ?

Ecoutez, les arouch sont campés sur leurs positions. Cela fait un an qu’ils subissent les foudres du pouvoir, cela fait un an qu’ils répètent que la plate-forme d’El Kseur est «scellée et non négociable». Je ne suis donc pas sûr qu’ils puissent faire des concessions, en admettant qu’on en leur demande. Ce qu’ils demandent est légitime et n’est pas au-dessus des capacités de l’Etat. Au contraire, l’Etat aurait dû anticiper ce genre de problèmes pour éviter qu’ils se posent. Cela dit, et pour débloquer la situation, il faut bien une rencontre. Appelez ça négociation, dialogue ou comme vous voudrez, mais il faut bien qu’un jour les uns et les autres se rencontrent. Et nous ne pouvons pas tenir des monologues sur des problèmes nationaux.

Si le chef du gouvernement vous demandait de participer au dialogue avec les arouch de Kabylie, compte tenu des bons contacts que vous entretenez avec eux et eu égard à votre initiative de médiation pour le règlement de la crise en Kabylie que vous avez entrepris l’été dernier, l’accepteriez-vous ?

Benflis n’a pas besoin de moi, les arouchs non plus. Cela dit, je suis disponible au travail et j’ai eu à le prouver dans le passé. D’autres amis, très nombreux, sont également disponibles. Mais je dis que c’est tellement simple qu’ils n’ont besoin de personne, sinon de bonne volonté et de loyauté.

Pensez-vous qu’il y ait des préalables à l’établissement de ce dialogue ?

Quand on relit les diverses déclarations des divers délégués des arouch, il n’y a pas de préalable, la plate-forme d’El Kseur étant non négociable. Mais pour savoir s’il y a ou non des préalables, il faut aller l’un vers l’autre.

La libération des détenus de Kabylie peut-elle jouer en faveur du dialogue ?

Bien sûr ! La libération des détenus, l’arrêt des poursuites judiciaires, l’arrêt des descentes punitives dont on entend parler de temps à autre, l’arrêt des saccages des commerces, etc., toutes ces mesures provocatrices doivent cesser. Cela est un préalable.

S’agissant de l’invalidité du scrutin en Kabylie, peut-il également jouer en faveur du dialogue ?

Je pense que la Kabylie se fiche royalement de l’invalidité ou de la validité du scrutin puisqu’elle n’y a pas participé.

Et que pensez-vous de la validation du scrutin en Kabylie malgré le boycott de l’élection par celle-ci ?

Sur le plan juridique, la question est clause par la décision du Conseil constitutionnel. Sur le plan politique, le problème commence.

Que pensez-vous du fait que la Kabylie ne soit pas représentée au Parlement ?

Cela traduit une crise grave. On ne peut que déplorer cela. Et également déplorer l’absence d’imagination. On ne peut pas applaudir l’absence d’une région à l’Assemblée nationale, que ce soit la Kabylie ou une autre région du pays. Ce n’est pas une question de droit, c’est une question politique, à laquelle il faut donner une réponse politique.

S. M.

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