Mémorandum à l’intention du gouvernement algérien

Mémorandum à l’intention du gouvernement algérien

AMNESTY INTERNATIONAL, 23 Août 2000 (publié dans El Moudjahid, 18 septembre 2000)

Au courant de la dernière année, Amnesty International a publiquement salué l’importante diminution du nombre des arrestations effectuées dans des conditions contraires aux dispositions des lois en vigueur, ainsi que celui des cas de détention au secret et de garde à vue prolongée au-delà de 12 jours permis par la loi algérienne.

L’organisation a salué l’engagement pris par le Président Abdelaziz Bouteflika durant la campagne qui a précédé son élection et dans la période post-électorale d’adopter des mesures visant à faire la lumière sur le sort des personnes « disparues ».

Amnesty International est consciente de la crise que vit l’Algérie depuis plusieurs années et de l’ampleur du drame auquel a été confrontée la population civile, profondément touchée dans son ensemble.
Aussi, Amnesty International a salué les mesures positives prises par les autorités algériennes au cours de ces dernières années dans le domaine des droits humains et notamment : la suspension des exécutions; la ratification de la Convention pour l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes; l’engagement à résoudre le problème des «disparitions»; la libération de milliers de prisonniers condamnés dans des procès inéquitables, après la révision des procès ou par des mesures de grâce; la nomination de la Commission de la réforme judiciaire ; et l’annonce récente de nouvelles mesures interministérielles entre les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur concernant le renforcement des prérogatives de la justice dans le domaine du contrôle et de la surveillance de l’action de la police judiciaire, l’obligation, sauf en cas de refus de détenu, de visite médicale à la fin de la période de garde à vue, et l’identification des lieux de garde à vue.
Le débat qui a eu lieu en Algérie, notamment au courant des derniers 18 mois, concernant le retour à la paix et les mesures à prendre à cette fin, a permis à la société civile d’exprimer avec force son espoir et son désir de tourner la page de cette période longue et douloureuse. Le défi constitué par la gravité de la situation ne peut être facilement relevé. Des mesures courageuses et parfois difficiles à prendre sont nécessaires pour faire face à la situation et pour restaurer et renforcer l’Etat de droit et la protection des droits humains.
La satisfaction du besoin de vérité et de justice des victimes et de leurs familles constitue la base essentielle d’une société juste et équitable. Seul l’Etat a la capacité de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l’impunité et redonner confiance à la société civile en la justice et l’Etat de droit. A cette fin, il est important que des enquêtes approfondies soient menées concernant toutes les violations passées, que les conclusions de ces enquêtes soient rendues publiques et que tous les responsables des violations soient traduits en justice en conformité avec les traités internationaux et régionaux des droits humains dont l’Algérie est partie.
C’est dans un esprit de coopération que ce mémorandum confidentiel est soumis aux autorités algériennes. L’Organisation espère qu’un dialogue franc, constructif et fructueux en découlera en matière de protection et promotion des droits humains en Algérie et ailleurs. Les préoccupations dont il est fait état dans ce mémorandum font l’objet d’un suivi approfondi et continu depuis plusieurs années de la part d’Amnesty International. La plupart des questions soulevées dans ce mémorandum ont été abordées auparavant par l’Organisation, aussi bien dans des courriers confidentiels adressés aux autorités algériennes que dans des rapports publics. N’ayant à ce jour reçu aucune information détaillée concernant les mesures qui auraient été éventuellement prises pour répondre aux doléances des victimes concernées, Amnesty International estime que ces préoccupations demeurent en souffrance. Aussi, toute information que les autorités algériennes voudront bien fournir concernant ces préoccupations sera reçu avec gratitude et sera incluse dans le prochain rapport sur l’Algérie que l’Organisation rendra public dans les prochains mois. Par ailleurs, suite à la décision des autorités algériennes de lui permettre, ainsi qu’à d’autres organisations internationales des droits humains, de se rendre en Algérie en mai dernier, Amnesty International espère que la brève visite qu’elle a pu effectuer puisse être suivie d’autres visites dans un futur proche afin que sa présence en Algérie redevienne régulière. Dans cet esprit, Amnesty International souhaiterait qu’une délégation de haut niveau se rende en Algérie très prochainement afin de poursuivre et de développer le dialogue entre les autorités algériennes et notre Organisation sur des sujets d’intérêt commun.

Application de la loi sur la concorde civile et l’amnistie présidentielle
Suite à l’entrée en vigueur de la Loi Nº 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile et des Décrets exécutifs nº 99-142, Nº 99-143 et Nº 99-144 du 20 juillet 1999 déterminant les modalités d’application des différents articles de ladite loi et suite au Décret présidentiel Nº 2000-03 du 10 janvier 2000 portant grâce amnistiante, il a été fait état par différentes autorités gouvernementales, dans des discours publics et dans des déclarations aux médias, de la reddition de plusieurs milliers de personnes ayant appartenu à des groupes armés. Les responsables gouvernementaux avec qui ont pu s’entretenir les délégués d’Amnesty International en mai 2000 ont également fait état de la reddition de plusieurs milliers de membres de différents groupes armés dans le cadre de ces dispositions juridiques. Selon les informations que nous avons reçues, la grâce amnistiante aurait concerné les membres de l’Armée islamique du salut (AIS) et de la Ligue islamique de la da’wa et le djihad (LIDD), qui auraient bénéficié de l’exonération totale de poursuite judiciaire, alors que les membres du Groupe islamique armé (GIA) et autres groupes, se seraient rendus sous la Loi de la concorde civile et auraient fait l’objet des mesures appropriées décidées par les Procureurs généraux territorialement compétents et par les autres autorités chargées de l’application de ladite loi. Toujours selon les informations reçues, le nombre des membres des différents groupes armés qui se sont rendus serait d’environ 5.500, dont plus d’un millier auraient bénéficié de la grâce amnistiante. En ce qui concerne ceux qui se sont rendus dans le cadre de la Loi sur la concorde civile, environ 350 d’eux auraient fait l’objet de poursuites judiciaires, selon les informations reçues. Par ailleurs, de nombreuses familles de personnes assassinées par des groupes armés affirment avoir reconnu les responsables de l’assassinat de leurs proches parmi les membres des groupes armés qui se seraient rendus dans le cadre de la Loi sur la concorde civile et qui n’auraient fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire, ainsi que parmi ceux qui ont bénéficié de la grâce amnistiante. Plusieurs associations de familles de victimes assassinées ou enlevées par des groupes armés ont fait état d’information allant dans le même sens et ont exprimé leur inquiétude face l’impunité dont bénéficieraient des anciens membres de groupes armés qui se seraient rendus coupables de meurtres et d’autres crimes graves et qui, selon les termes de la Loi sur la concorde civile, ne peuvent bénéficier de l’exonération de poursuites judiciaires.
Concernant les délais d’application de la Loi sur la concorde civile, nous entendons que ladite loi est entrée en vigueur le 13 juillet 1999 pour une durée de six mois et a expiré le 13 janvier 2000.
Cependant, selon différentes sources, y compris des sources judiciaires, des personnes ayant appartenu à des groupes armés qui se seraient rendues après l’expiration des délais de la Loi sur la concorde civile auraient néanmoins bénéficié de l’application de ladite loi.
Le manque d’informations officielles détaillées et précises ne permet pas une appréciation complète de la situation concernant l’application de la Loi sur la concorde civile. Nous souhaiterions recevoir des précisions concernant :
– le nombre des membres de l’AIS, de la LIDD et d’autres groupes ayant bénéficié de la grâce amnistiante accordée par le Président de la République en janvier 2000;
– les critères selon lesquels a été établie la liste des bénéficiaires de la grâce amnistiante;
– le nombre des membres du GIA ou d’autres groupes armés qui se sont rendus avant le 13 janvier 2000 ;
– le nombre de ceux qui ont bénéficié de l’exonération de poursuites judiciaires, en dehors de ceux qui ont bénéficié de la grâce amnistiante ;
– le nombre de ceux qui ont été traduits en justice et, parmi eux le nombre de ceux qui ont été acquittés et de ceux qui ont été condamnés pour quels crimes et à quelles peines ;
– le nombre des membres de groupes armés qui se sont rendus après le 13 janvier 2000 et les poursuites judiciaires dont ces personnes ont fait l’objet.

Conditions d’arrestation et de maintien en garde à vue
Au courant de la dernière année Amnesty International a publiquement salué l’importante diminution du nombre des arrestations effectuées dans des conditions contraires aux dispositions des lois en vigueur, ainsi que celui des cas de détention au secret et de garde à vue prolongée au-delà de 12 jours permis par la loi algérienne.
Aussi nous avons pris connaissance avec intérêt de l’annonce récente de nouvelles dispositions qui pourraient contribuer à améliorer sensiblement les garanties des personnes arrêtées et détenues en garde à vue. Selon les informations que nous avons reçues au moment de la préparation de ce mémorandum, ces dispositions ont été prises par instruction interministérielle, entre les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur et concernant : le renforcement des prérogatives de la justice dans le domaine du contrôle et de la surveillance de l’action de la police judiciaire ; l’obligation, sauf en cas de refus du détenu, de visite médicale à la fin de la période de garde à vue ; et l’identification des lieux de garde à vue. Nous souhaiterions recevoir copie des textes de ces nouvelles dispositions, ainsi que des textes régissant leur application.
Cependant, Amnesty International demeure inquiète du fait que des cas de détention au secret prolongée au-delà de la limite permise par la loi algérienne continuent de se produire. Au court des derniers mois, l’Organisation a contacté les autorités gouvernementales compétentes, notamment les ministères de la Justice et de l’Intérieur, concernant de tels cas mais n’a pu recevoir les informations nécessaires sur le sort des victimes.
A titre d’exemple nous pouvons citer les cas de :
– Malik MEDJNOUN, arrêté le 28 septembre 1999 ;
– Samir HAMDI-PACHA, arrêté le 22 décembre 1999 ;
– Oualid DJELLABI, arrêté le 15 janvier 2000 ;
– El Hadj M’LIK, arrêté le 14 avril 2000 ;
– Ali MEBROUKINE, arrêté vers le 25 mai 2000.
Malik Medjnoun et Samir Hamdi-Pacha ont été détenus au secret jusqu’aux premiers jours de mai 2000, soit sept mois pour le premier et plus de quatre mois pour le second. Malik Medjnoun se trouve à la prison de Tizi-Ouzou et Samir Hamdi-Pacha à la prison militaire de Blida. Durant toute la période de leur détention au secret, tous les services de sécurité et autorités judiciaires et pénitentiaires contactés par les familles et les avocats de ces deux détenus ont, soit nié leur arrestation et détention, soit affirmé n’avoir aucune connaissance des cas.
Dans ces cas, comme dans d’autres, les membres des services de sécurité ayant procédé à l’arrestation de ces personnes étaient habillées en civil, utilisaient des véhicules banalisés et n’ont présenté aucune pièce d’identification ni mandat d’arrêt. De telles pratiques, surtout dans la situation que vit actuellement l’Algérie, entretiennent la confusion entourant la responsabilité de certains actes. Les familles de ces détenus avaient reçu des informations, y compris des informations confidentielles de sources officielles, confirmant que leurs proches avaient été arrêtés par des service de sécurité et se trouvaient en détention. En même temps, certains services de sécurité et autorités contactés par les familles et les avocats de ces personnes, lors des démarches entreprises pour localiser les détenus, auraient indiqué que les détenus avaient probablement été enlevés par des groupes armés. La même explication a été donnée à Amnesty International dans de nombreux cas de personnes dont il a été confirmé par la suite qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité. Ali Mebroukine, actuellement détenu à la prison militaire de Blida, a été détenu au secret pendant un mois ; il lui a été permis de recevoir la visite de son avocat pour la première fois le 28 juin 2000 mais il n’a pu recevoir la visite de sa famille que plusieurs jours plus tard. A ce jour, il n’a pas été possible d’obtenir des informations sur le sort de Oualid Djellabi et El Hadj M’lik. Seule une personne détenue au centre de sécurité de Ben Aknoun affirme avoir vu El Hadj M’lik dans ce centre au cours de la dernière semaine du mois d’avril 2000. Amnesty International a écrit à plusieurs reprises au gouvernement algérien concernant ces cas et regrette de n’avoir reçu aucune réponse à ce jour. De telles pratiques sont contraires aussi bien à la législation algérienne qu’aux normes internationales. L’article 51 du Code de procédure pénale algérien limite le maintien en garde à vue des personnes arrêtées à un maximum de 12 jours et stipule que tout moyen doit être mis à disposition de la personne gardée à vue pour lui permettre de communiquer immédiatement et directement avec sa famille et de recevoir ses visites. L’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que toute personne détenue doit être promptement présentée à la justice et informée des chefs d’inculpations retenus contre elle.
La règle 92 de l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus adoptées par les Nations unies stipule que :
«Un prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir attribuer toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci [.]». L’article 10 de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ou involontaires exige que tout détenu soit incarcéré dans un centre de détention reconnu et que ses proches et ses avocats soient informés sans délai du lieu où il se trouve.
Dans tous les cas, toute détention par quelque service de sécurité que ce soit doit être soumise au contrôle des autorités judiciaires. L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l’Algérie, stipule que :
«1. [.] Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévue par la loi.
2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui.
3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. [.]»
Par ailleurs, l’article 51 du Code de procédure pénale algérien stipule que «La violation des dispositions relatives aux délais de garde à vue [.] expose l’officier de police judiciaire aux peines encourues en matière de détention arbitraire». Cependant, selon les informations disponibles à ce jour ceoncernant les cas cités plus haut, aucune enquête n’a été menée afin de traduire en justice et sanctionner les responsables de cette violation. Au cours de ces dernières années Amnesty International et d’autres organisations nationales et internationales des droits humains ont déploré à plusieurs reprises les violations auxquelles ont été soumis des détenus durant la détention en garde à vue.
En août 1998 le Comité des droits de l’homme des Nations unies a également exprimé son inquiétude à ce sujet et a demandé au gouvernement algérien de prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Les informations qu’Amnesty International a pu recueillir auprès des différentes autorités algériennes concernant les procédures d’arrestation et de détention en garde à vue indiquent que, d’une part, le degré de contrôle effectif de l’appareil judiciaire sur les différents services de sécurité (police, gendarmerie et sécurité militaire) demeure limité et que, d’autre part, la centralisation des informations relatives aux arrestations et des détentions en garde à vue opérées par les différents services de sécurité est insuffisante. Cela semble être à l’origine des difficultés dans la localisation des détenus en garde à vue dans certains cas, les autorités judiciaires n’étant pas en général informées de l’arrestation et du maintien en garde à vue qu’au moment où les personnes interpellées sortent de la garde à vue pour être traduites en justice. Dans les cas où les détenus sont libérés par les services de sécurité sans être traduits devant la justice, les autorités judiciaires ne sont souvent pas informées de ces détentions.
En fait, dans l’écrasante majorité des cas Amnesty International a soulevé avec les autorités judiciaires ou les autorités desquelles dépendent les services de sécurité en question (le ministre de l’Intérieur pour la police et le ministère de la Défense pour la gendarmerie et la sécurité militaire) l’Organisation n’a pu obtenir aucune information avant la traduction en justice ou la libération de la personne interpellée. Les familles et les avocats des personnes détenues ont fait face au même problème.
Durant la période de la garde à vue, les détenus étant particulièrement vulnérables du fait de leur isolement du monde extérieur, ils encourent un risque majeur d’être soumis à la torture et aux mauvais traitements. Des mesures doivent donc être prises afin d’assurer le respect des lois dont l’application peut constituer une protection efficace pour la sécurité des personnes détenues. Par ailleurs, les juges et les magistrats du Parquet sont tenus d’ordonner des enquêtes sur les transgressions de la loi qui sont portées à leur connaissance de façon à garantir le droit des prévenus à un procès équitable et le bon fonctionnement de la justice. Sans cela l’indépendance, l’impartialité et l’engagement des magistrats en faveur du respect des droits humains demeureront sujets à caution.

Les «disparitions»
Une évolution positive est à noter en Algérie, où le nombre de «disparitions» signalées au cours des deux dernières années a singulièrement diminué. Cela étant, la question des «disparitions», qui ravage le pays depuis plus de sept ans, demeure un motif de préoccupation important. Amnesty International a reçu des informations concernant environ 4 000 cas de personnes «disparues» depuis 1994. Ce nombre correspond aux dossiers concernant des personnes dont on est sans nouvelles depuis le jour où elles ont été enlevées, par des membres des forces de sécurité ou des milices paramilitaires, à leur domicile, leur lieu de travail ou ailleurs, souvent en présence de voisins, de membres de leur famille, de collègues ou de simples passants.
L’Organisation ne fait figurer une personne sur sa liste de «disparus» que s’il existe des motifs bien fondés de penser qu’elle a été détenue, éventuellement dans des centres de détention secrets, par des forces de sécurité ou des milices paramilitaires armées par l’Etat, et que celles-ci nient par la suite détenir la victime, refusant ainsi de révéler où elle se trouve et ce qu’il est advenu d’elle.
Si l’Organisation découvre par la suite qu’une personne a réapparu après avoir été, par exemple, détenue au secret pendant un certain laps de temps, elle ne la considérera plus comme «disparue». Amnesty International reconnaît que sa liste n’est pas exhaustive et que le nombre de «disparus» en Algérie est peut-être, dans la réalité, nettement plus élevé. Certaines familles n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu signaler la «disparition» d’un proche à des organisations nationales ou internationales.
Certaines d’entre elles continuent à craindre qu’une action de ce type ne les expose, elles-mêmes et la personne «disparue», à des risques de persécution ; d’autres ignorent l’existence de ces organisations ou sont dans l’incapacité de les contacter parce qu’elles vivent dans des régions éloignées. Cela explique aussi pourquoi, dans la plupart des cas, les familles ont eu tendance à ne signaler les «disparitions» que longtemps après. Amnesty International voudrait signaler aux autorités algériennes que, si elles en expriment le souhait, l’Organisation mettra sa liste de «disparus» à leur disposition.
De l’avis d’Amnesty International, le fait que les autorités ont, depuis 1998, reconnu la réalité des «disparitions» et que des mesures ont été prises par la suite pour permettre le dépôt de plaintes, constitue un pas dans la bonne direction. Ainsi, lorsque le ministère de l’Intérieur a ouvert dans chaque wilaya (province) des bureaux pour l’enregistrement de plaintes pour «disparition», en novembre de cette même année, et que les autorités se sont engagées à faire ouvrir des enquêtes sur ces cas, les proches des «disparus» ont repris espoir.
L’Organisation a également salué l’engagement pris par le Président Abdelaziz Bouteflika durant la campagne qui a précédé son élection et dans la période post-électorale, d’adopter des mesures visant à faire la lumière sur le sort de ces personnes. D’autre actions positives entreprises par les autorités, notamment la remise en liberté de plus de 2000 personnes, amnistiées par le Président en juillet 1999, ont ravivé les espoirs.

Nous avons pris connaissance avec intérêt de l’annonce récente de nouvelles dispositions qui pourraient contribuer à améliorer sensiblement les garanties des personnes arrêtées et détenues en garde à vue. Selon les informations que nous avons reçues au moment de la préparation de ce mémorandum, ces dispositions ont été prises par instruction interministérielle, entre les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur et concernent : le renforcement des prérogatives de la justice dans le domaine du contrôle et de la surveillance de l’action de la police judiciaire ; l’obligation, sauf en cas de refus du détenu, de visite médicale à la fin de la période de garde à vue.
Amnesty International note l’augmentation du nombre d’organisations non – gouvermentales (ONG) et d’associations présentes en Algérie, au niveau national et local, et qui agissent dans différents domaines. En mai dernier les responsables des Libertés publiques au ministère de l’Intérieur ont informé les délégués d’Amnesty International que le nombre de telles ONG et associations est passé de moins de 200 en 1991 à environ 55 000 à l’heure actuelle.

Cela étant, aucune mesure concrète visant à mettre sur pied un mécanisme indépendant pour enquêter sur les cas de « disparition » et déterminer le sort réservé aux « disparus » ainsi que l’endroit où ils se trouvent n’a été constatée à ce jour.
Les appels lancés par les mères des « disparus » ont par la suite été rejetés par le Président Bouteflika et d’autres autorités qui ont déclaré qu’il était temps de « tourner la page ».
Amnesty International est déçue de constater que malgré le nombre écrasant de preuves du contraire, les autorités gouvernementales continuent à soutenir que, dans la plupart des cas, les déclarations faites par les familles des « disparus » sont sans fondement, bien que ces dernières affirment que leurs proches ont été enlevés par des membres des forces de sécurité ou de milices paramilitaires.
Au cours de leur séjour en Algérie, au mois de mai 2000, les délégués d’Amnesty International ont, lors de chaque réunion avec des représentants des autorités, soulevé la question des « disparus » et évoqué le fait que très peu d’enquêtes ont été engagées à ce sujet.
Ils ont écouté avec une attention particulière les représentants du ministère de la Justice et de l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH) parler des cas qu’ils soutiennent avoir élucidés.
Le délégué du ministère de la Justice a fait savoir que celui-ci a reçu 3 019 plaintes pour « disparition » et que 1146 d’entre elles ont été élucidées et réparties en plusieurs catégories : 82 personnes sont ou ont été détenues ; 833 sont recherchées par les autorités pour des actes de « terrorisme »; 92 ont été tuées dans des affrontements armés avec les forces de sécurité ; neuf ont été tuées par d’autres groupes armés ; 74 vivent chez elles avec leur famille ; 49 ont été arrêtées puis remises en liberté ; cinq ont soit bénéficié de l’amnistie de janvier 2000 concernant les membres de l’Armée islamique du salut (AIS), soit été déclarées à l’abri de toute poursuite dans la cadre de la Loi sur la concorde civile ; enfin, deux personnes ont été élargies à la faveur de l’amnistie présidentielle de juillet 1999.
Les représentants de l’Etat ont fourni à Amnesty International les noms et dates de naissance des sept personnes entrant dans les deux dernières catégories, à l’exclusion de tout autre renseignement.
La délégation a demandé à obtenir une liste de tous les cas que le ministère de la Justice déclare avoir élucidés, accompagnée d’un minimum d’informations devant permettre l’identification de ces personnes, notamment leurs dates de naissance et de « disparition ».
Ce faisant, les autorités devaient donner à Amnesty International la possibilité de vérifier l’exactitude de sa liste de « disparus » et de s’assurer qu’elle ne contenait pas le nom d’une personne qui, par exemple, aurait « disparu » mais serait ensuite réapparue.
Malgré les assurances que ces données seraient fournies, Amnesty International n’a reçu aucune information en ce sens.
L’Organisation espère recevoir prochainement les informations qu’elle avait demandées lors de ses réunions avec les autorités en mai 2000 puis par courrier en juin 2000.
Sur les sept cas dont les noms et dates de naissance ont été fournis, une seule figurait sur la liste des quelque 4 000 « disparus », quoique avec une date de naissance légèrement différente.
Le ministère de la Justice n’ayant apporté aucune autre précision, l’Organisation n’a pas été en mesure de vérifier si ces deux dates concernaient bien la même personne.
En même temps, l’ONDH informait la délégation de la réception d’environ 4 150 déclarations de « disparition », dont il a transmis la plupart aux forces de sécurité.
Ces dernières ont répondu à propos de quelque 2 100 cas, souvent à peu près un an plus tard. L’ONDH avait réparti ces personnes en plusieurs catégories : celles qui étaient décédées ; celles qui étaient incarcérées ; celles qui étaient recherchées par les autorités ; celles qui avaient été mises en liberté après une période de détention ; celles qui avaient été enlevées par un groupe armé inconnu ; celles qui s’étaient rendues d’elles-mêmes aux autorités dans le cadre de la Loi sur la concorde civile; celles qui avaient été relâchées après avoir été retenues pour être interrogées; celles qui avaient « disparu » dans des circonstances inconnues; et celles dont les familles n’étaient pas satisfaites des réponses des forces de sécurité que l’ONDH leur avait fait suivre.
L’ONDH a fourni à Amnesty International le nom de quelques personnes de chacune de ces catégories et, pour certaines d’entre elles, la date à laquelle, selon les déclarations de leurs proches, elles auraient été arrêtées. La plupart de ces noms ne figuraient pas sur la liste d’Amnesty International. Lors de sa première réunion avec la délégation de l’Organisation en mai 2000, l’ONDH avait promis de lui faire parvenir une liste des cas de « disparition », sur lesquels il se penchait, avec leur répartition par catégories, mais Amnesty International n’a pas reçu ces information à ce jour.
L’Observatoire n’a fourni aucune indication pouvant laisser entendre qu’il s’était renseigné ailleurs qu’auprès des forces de sécurité sur les « disparitions » que les familles de victimes lui avaient signalées.
En ce qui concerne les familles qui ont porté plainte officiellement dans le cadre du système judiciaire, certaines d’entre elles ont été convoquées et interrogées par des procureurs et des juges d’instruction, mais rien n’indique que des enquêtes en bonne et due forme aient été menées dans aucune affaire de « disparition », si ce n’est que dans certains cas les plaintes ont été transmises aux forces de sécurité pour commentaires. Souvent, il existe non seulement des témoignages de parents, de voisins ou de passants attestant la véracité de l’enlèvement par des membres des forces de sécurité, mais aussi d’autres éléments de preuve pouvant éventuellement constituer le point de départ d’une enquête exhaustive.
Dans quelques cas certains des membres des forces de sécurité qui ont procédé à l’enlèvement, si ce n’est tous, étaient connus des témoins, qui ont signalé leur nom dans leurs témoignages aux autorités.
Dans d’autres, les témoins ont fourni d’autres informations devant permettre d’identifier les auteurs des enlèvements, telles que les numéros d’immatriculation des voitures dans lesquelles les membres des forces de sécurité ont emmené leur victime, ou la brigade ou la division à laquelle ils appartenaient. Il arrive aussi que le premier lieu de détention du « disparu » soit connu de la famille, soit parce qu’elle a réussi à suivre la voiture jusqu’à une caserne ou jusqu’à une autre base des forces de sécurité, soit parce qu’elle a appris de sources non officielles, par des prisonniers libérés, que leurs proches y étaient détenus.
L’une des preuves les plus frappantes de la participation des forces de sécurité à des cas de « disparition » figure dans des documents que certaines familles ont reçus des autorités. Ainsi, en octobre 1994 la famille de Salah Saker avait signalé à de nombreuses autorités que celui-ci avait « disparu » après avoir été arrêté par la police chez lui, à Constantine le 29 mai de cette même année.
N’obtenant aucune réponse à leurs lettres, en janvier 1996 les proches de Salah Saker ont déposé plainte, auprès des autorités judiciaires de Constantine, contre la police judiciaire de la wilaya de Constantine. La première réponse des autorités, datée du 27 février 1997, contenait une copie d’un procès-verbal du 4 septembre 1996 confirmant que la police judiciaire de la wilaya de Constantine avait effectivement arrêté Salah Saker, né le 10 janvier 1957, avant de le transférer, le 3 juillet 1994, au Centre régional des investigations de la 5e Région militaire.
La famille avait écrit à l’ONDH le 27 septembre 1996 pour demander son aide et protester contre les difficultés auxquelles elle se heurtait pour obtenir des informations de la part des autorités.
Le 10 décembre 1998, l’ONDH a répondu que, selon les informations reçues des services de sécurité, Salah Saker avait été « enlevé par un groupe armé non identifié ».
Bien qu’ayant épuisé toutes les voies de recours possibles dans le cadre du système judiciaire, la famille n’a toujours pas été informée des raisons ayant motivé l’arrestation, il y a six ans, de Salah Saker.
Elle n’a reçu aucune indication quant au sort qui lui a été réservé ni sur l’endroit où il se trouverait, ni aucune explication sur les contradictions évidentes entre la déclaration de la police fournie par les autorités et les informations contenues dans la réponse de l’ONDH. Il lui est particulièrement difficile de comprendre la raison pour laquelle les autorités n’on pas ouvert une information judiciaire sur cette affaire, malgré toutes les preuves disponibles et malgré l’obligation qui en incombe à l’Algérie, tant aux termes du droit algérien que des normes internationales.
Préoccupée par l’absence d’enquêtes approfondies sur les cas particuliers de « disparition » et sur le phénomène général des « disparitions », Amnesty International déplore également l’absence manifeste de coordination entre les différentes autorités en ce qui concerne les rares informations disponibles à ce sujet. Diverses instances se sont vu remettre, en nombre variable, des plaintes portant sur des « disparitions ». Des responsables du ministère de l’Intérieur ont indiqué, en mai à la délégation d’Amnesty International que 4 693 dossiers avaient été soumis à leurs services par l’intermédiaire des antennes créées dans chaque wilaya.
Comme cela a déjà été indiqué, le ministère de la Justice a reçu 3 019 plaintes relatives à des « disparitions » et déclare en avoir élucidé 1 146 ; l’ONDH, quant à lui, a eu connaissance de 4 150 allégations, dont 2 100 ont donné lieu à une réponse des forces de sécurité. Par ailleurs, le ministère de la Justice et l’ONDH utilisent deux systèmes différents pour classer les cas qu’ils ont examinés.
De plus, certaines incohérences apparaissent lorsqu’on compare les informations fournies par le ministère de la Justice et celles qui émanent de l’ONDH. Trois des sept cas de « disparition » présentés par le ministère de la Justice à la délégation d’Amnesty International, au cours de sa visite de mai 2000, comme des exemples de cas élucidés ont été également mentionnés par l’ONDH.
Il s’agit des cas de Fathi Merabtine, Yassine Boudjemrine et Mohamed Yazid Benkherrab ; des versions différentes de ces affaires ont été données par ces deux institutions. Selon le ministère de la Justice, les trois hommes étaient des membres de groupes armés, qui s’étaient rendus aux autorités après l’entrée en vigueur de la Loi sur la concorde civile ou qui avaient bénéficié de l’amnistie de janvier 2000. L’ONDH indiquait également que les trois hommes appartenaient à des groupes armés mais, selon cet organisme, ils s’étaient livrés aux autorités à l’occasion de la Qanoun El Rahma (Loi portant mesure de clémence) de février 1995.
Au début de l’année 2000, les autorités avaient assuré que de nombreux « disparus » étaient réapparus parmi des membres de groupes armés qui s’étaient rendus aux autorités à la suite de l’amnistie de janvier 2000 ou de l’entrée en vigueur de la Loi sur la concorde civile. Ces affirmations semblaient destinées à rendre plus convaincant l’argument selon lequel de nombreux « disparus » auraient orchestré volontairement leur propre disparition pour rejoindre des groupes armés. Certains journaux algériens se sont fait l’écho de ces affirmations : c’est ainsi que dans le numéro de El Watan du 1er février 2000, un article donne les prénoms de certaines personnes censées être réapparues.
Amnesty International a demandé par écrit aux autorités algériennes, en février, les noms complets des « disparus » censés être réapparus, ainsi que des informations complémentaires. A ce jour, cependant, aucune réponse n’est parvenue de la part des autorités et, à la connaissance d’Amnesty International, les familles des personnes figurant sur la liste de « disparus » établie par l’Organisation n’ont, en aucun cas, été informées par les autorités de la réapparition d’un parent « disparu ». Au cours de ces derniers mois, des familles de « disparus » ont été convoquées par les autorités judiciaires et se sont vu délivrer un certificat de disparition relatif à leur parent « disparu ». Certaines familles ont volontiers accepté ce document, car il constitue l’élément initial d’un processus qui devrait aplanir certains des problèmes bureaucratiques rencontrés par les femmes dont le mari a « disparu » et par leur famille. Ces problèmes sont liés au fait que de nombreuses démarches administratives, en Algérie, par exemple l’inscription des enfants à l’école ou l’obtention de passeport ou de différents papiers pour ces mêmes enfants, ne peuvent aboutir qu’avec le signature du père, sauf si le père est déclaré mort, ce qui n’est pas le cas des «disparus». D’autres familles affirment qu’elles ont été menacées par les forces de sécurité et contraintes de se présenter devant les autorités pour recevoir le certificat en question.
Les autorité disent traiter la question des «disparitions» par deux méthodes simultanées en enquêtant sur les cas et en régularisant la situation juridique des familles de «disparus», mais de nombreuses familles craignent que la seconde voie ne soit un moyen de remettre à une date indéfinie et peut-être d’éluder complètement toute enquête relative au sort de leur parent «disparu». Amnesty International est préoccupée par l’absence d’information centralisée sur les cas de «disparition» et d’enquête à leur sujet; elle exhorte le ministère de la Justice, à qui incombe la responsabilité des enquêtes judiciaires en Algérie, à prendre les mesures suivantes :
– amalgamer les diverses informations sur les cas de «disparition» réunies par le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et l’ONDH et éliminer les discordances portant sur le nombre de cas de «disparition» recensés par ces trois organismes et sur leurs circonstances;
– constituer un registre central recensant tous les cas de «disparition» signalés à toutes les autorités algériennes et les résultats des enquêtes sur le sort de chaque «disparu», en précisant les démarches effectuées pour vérifier les éléments d’information fournis par les forces de sécurité;
– vérifier qu’une enquête exhaustive et indépendante a été menée pour connaître le sort de chaque «disparu» et que la famille de la personne «disparue» a été informée du résultat de l’enquête;
– veiller à ce que les cas de «disparition» nouvellement signalés et les conclusions des enquêtes menées à leur sujet soient consignés dans le registre central.
Amnesty International appelle le gouvernement algérien à s’assurer que les ressources adéquates sont disponibles pour la mise en ouvre de ces mesures dans les plus brefs délais. Si ces mesures ont déjà été prises, dans leur totalité ou partiellement, Amnesty International souhaite recevoir de la part des autorités toute information les concernant. Elle souhaiterait tout particulièrement recevoir une liste détaillée de tous les cas de «disparus» qui ont été signalés aux autorités – que le signalement initial ait été fait auprès du ministère de la Justice, du ministère de l’Intérieur ou de l’ONDH – et être informée des conclusions des enquêtes relative au sort de chacune de ces personnes. À cet égard, Amnesty International rappelle au gouvernement algérien que, en août 1998, le Comité des droits de l’homme a formulé plusieurs recommandations concernant les «disparitions», indiquant en particulier que l’Algérie devrait :
«(…) adopter des mesures pour a) établir un registre central pour enregistrer tous les cas de disparition signalés et toutes les démarches effectuées au jour le jour pour retrouver les disparus; b) aider les familles concernées à retrouver les disparus 2».
L’Organisation rappelle également aux autorités que l’Algérie, en tant que membre des Nations unies, est tenue de se conformer à la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptées sans vote le 18 décembre 1992 par l’Assemblée générale des Nations unies. La Déclaration dispose, à l’Article 13, que :
«Tout Etat assure à toute personne disposant d’informations ou pouvant invoquer un intérêt légitime, qui allègue qu’une personne a été victime d’une disparition forcée, le droit de dénoncer les faits devant une autorité de l’Etat compétente et indépendante, laquelle procède immédiatement et impartialemnt à une enquête approfondie. Lorsqu’il existe des raisons de croire qu’une personne a été victime d’une disparition forcée, l’Etat défère sans délai l’affaire à ladite autorité pour qu’elle ouvre un enquête, même si aucune plainte n’a été officiellement déposée. Cette enquête ne saurait être limitée ou entravée par quelque mesure que ce soit.
«Tout État veille à ce que l’autorité compétente dispose des pouvoirs et des ressources nécessaires pour mener l’enquête à bien, y compris les pouvoirs nécessaires pour obliger les témoins à comparaître et obtenir la production des pièces pertinentes ainsi que pour procéder immédiatement à une visite sur les lieux».
Quant à l’Article 19, il est ainsi libellé :
«Les victimes d’actes ayant entraîné une disparition forcée et leurs familles doivent obtenir réparation et ont droit d’être indemnisées de manière adéquate, notamment de disposer des moyens qui leur permettent de se réadapter de manière aussi complète que possible. En cas de décès de la victime du fait de sa disparition forcée, sa famille a également droit à indemnisation».
En ce qui concerne le cas de Salah Saker, Amnesty International souhaite être informée des démarches entreprises par le ministère de la Justice pour examiner la contradiction entre le procès-verbal du 4 septembre 1996 confirmant que la police judiciaire de la wilaya de Constantine avait arrêté Salah Saker et l’avait transféré au Centre régional des investigations de la 5e Région militaire le 3 juillet 1994 et la lettre de l’ONDH en date du 10 décembre 1998 informant la famille de Salah Saker que, d’après les renseignements fournis par les services de sécurité, il avait été «enlevé par un groupe armé non identifié».

Liberté d’association, d’expression et d’action pour les victimes et les défenseurs des droits humains
Amnesty International note l’augmentation du nombre d’organisations non – gouvermentales (ONGs) et d’associations présentes en Algérie, au niveau national et local, et qui agissent dans différents domaines. En mai dernier les responsables des Libertés publiques au ministère de l’Intérieur ont informé les délégués d’Amnesty International que le nombre de telles ONGs et associations est passé de moins de 200 en 1991 à environ 55 000 à l’heure actuelle.
Les ONGs et les associations issues de la société civile peuvent jouer un rôle important dans la protection et la promotion des droits humains et contribuer à la construction d’un meileur avenir pour le pays. Ainsi, le développement et le renforcement du tissu associatif ne peuvent-être considérés que comme une avancée positive-à condition que les critères d’octroi de l’autorisation nécessaire pour exister et opérer soient appliqués à toutes les ONGs et associations de manière équitable. Cela doit naturellement inclure les ONGs et les associations dont l’action, ou une partie de l’action, consiste à critiquer le gouvernement et sa politique, en quelque domaine que ce soit.
Cependant, force est constater que parmi les quelques 55 000 ONGs et associations qui existent dans le pays, la dizaine d’ONGs et d’associations des droits humains qui ont pris des positions critiques à l’encontre de l’action et de la politique des autorités gouvernementales ont eu et continuent de faire face à de nombreux problèmes et restrictions. Ceux-ci vont du refus par les autorités aussi bien locales que nationales de l’octroi de l’autorisation nécessaire pour exister à l’interdiction de la tenue de réunions ou d’autres activités publiques. Dans plusieurs cas, aussi bien au cours des années précédentes que cette année, des manifestations organisées par ces associations ont été empêchées ou dispersées par la force par les services de sécurité qui ont brutalisé et/ou arrêté les organisateurs et/ou participants.
A titre d’exemple, à ce jour, ni l’Association nationale des familles des disparus (ANFD) ni l’Association des familles de disparus de la wilaya de Constantine n’ont pu obtenir l’autorisation d’exister. S’il est vrai que les manifestations hebdomadaires des mères des «disparus» ont généralement été tolérées, les manifestantes ont été dispersées à plusieurs reprises par la force, battues et maltraitées et/ou arrêtées par les services de sécurité. Cela fut notamment le cas en avril 2000 à Oran, et en d’autres occasions à Alger.
Cette situation concerne le plus souvent les activités d’associations non reconnues ouvrant en faveur des victimes de violations de droits humains imputées aux services de sécurité, ainsi que des associations ouvrant en faveur des victimes des groupes armés et dont les activités, auparavant tolérées et parfois encouragées, sont aujourd’hui en opposition avec la politique gouvernemenale en la matière-notamment concernant la Loi sur la concorde civile et l’amnistie des membres de groupes armés. Par exemple, l’augmentation de la répression des activités de la Fondation Matoub Lounès, a coïncidé avec ses critiques de plus en plus sévères envers les autorités.
L’association des familles de victimes enlevées par les groupes armés, Somoud, fait également état de nombreuses difficultés rencontrées pour obtenir l’autorisation et mener à bien ses activités.
D’autres ONGs reconnues par les autorités, tels la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) et le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), se voient depuis des années systématiquement refuser la permission de tenir toute réunion, conférence ou autre activité publique et les salles publiques ne leur sont jamais octroyées alors que d’autres ONGs et associations peuvent les obtenir.

Amnesty International est consciente de l’ampleur de la crise qu’a vécue l’Algérie au cours des années passées. Elle est également consciente que le nombre des victimes et la complexité de la situation constituent un obstacle pour mener à bien les enquêtes dans des délais raisonnables.
Amnesty International a connaissance des dispositions en vigueur cooncernant l’indemnisation des victimes assassinées par des groupes armés et a reçu des informations à ce sujet des différentes associations de familles de victimes des groupes armés, ainsi que des familles de ces victimes.

Cependant, à la même période, une autre réunion publique, organisée par des membres d’un des partis politiques de la coalition gouvernementale et dont l’objet était de critiquer Amnesty International et son travail sur l’Algérie, a pu avoir lieu. S’il est tout à fait possible que des situations comme celles citées relèvent dans certains cas de coïncidences ou de malentendus, l’ampleur et la constance du phénomène font craindre qu’il ne s’agisse souvent de pratiques délibérées ayant pour objectif d’imposer des restrictions aux revendications des victimes et aux activités des défenseurs de droits humains.
Ces restrictions sont en contradiction avec l’esprit de la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 53/144) à sa 85e réunion plénière, le 9 décembre 1998. Ladite Déclaration stipule :
«Article premier:
Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international.
«Article 2 :
1. Chaque Etat a, au premier chef, la responsabilité et le devoir de protéger, promouvoir et rendre effectif tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales, notamment en adoptant les mesures nécessaires pour instaurer les conditions sociales, économiques, politiques et autres ainsi que les garanties juridiques voulues pour que toutes les personnes relevant de sa juridiction puissent, individuellement ou en association avec d’autres, jouir en pratique de tous ces droits et de toutes ces libertés.
2. Chaque Etat adopte les mesures législatives, administratives et autres nécessaires pour assurer la garantie effective des droits et libertés visés par la présente Déclaration.
«Article 5
Afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international :
a) De se réunir et de se rassembler pacifiquement ;
b) De former des organisations, associations ou groupes non-gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer :
c) De communiquer avec des organisations non-gouvernementales ou inter-gouvernementales.
Ainsi, dans l’intérêt du développement de la protection et de la promotion de droits humains, tels qu’universellement reconnus, il est souhaitable que des mesures concrètes soient prises afin de garantir de manière équitable et effective le droit d’association, d’expression et d’action pour toutes les victimes et leurs familles des victimes ainsi que pour tous les défenseurs des droits humains.

Le statut des milices paramilitaires
Amnesty International a exprimé à maintes reprises ses inquiétudes concernant l’action des milices paramilitaires, dites «Groupes de légitime défense» ou «Groupes d’autodéfense» ou «Patriotes», constituées par des groupes de citoyens armés par l’Etat depuis au moins 1994 et dont le nombre exact demeure inconnu. Le Décret exécutif 97-04 fixant les conditions d’exercice de l’action de légitime défense dans un cadre organisé, qui officialisait l’existence des milices et définissait en quelque sorte le cadre de leurs activités, au lieu de diminuer les préoccupations concernant l’existence et les agissements de ces milices, a soulevé de nouvelles préoccupations. En effet, le Décret ne respecte pas les dispositions essentielles énoncées dans les traités et normes relatifs aux droits humains, et notamment le PIDCP, la Convention contre la torture, la Charte africaine, les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois, adoptés par les Nations unies. Il ne contient pas de dispositions relatives au recrutement et à la formation des membres de ces groupes ni de dispositions relatives à l’obligation pour les membres de ces groupes de rendre compte de leurs activités. De plus, certaines dispositions de ce décret ont été et continuent d’être violées. Alors que ledit décret stipule que les membres des groupes de légitime défense peuvent recourir à la force et utiliser des armes à feu «en cas d’agression, de tentative d’agression et lorsqu’ils sont chargés d’aider des personnes en danger», les membres de ces groupes ont souvent mené ou participé à des embuscades, ratissages et autres opérations militaires soit seuls, soit conjointement avec l’armée et les forces de sécurité. La violation des dispositions dudit décret se produit donc avec le consentement des autorités responsables de son application.
Selon les informations disponibles à l’heure actuelle, de nombreux abus graves, y compris des meurtres, commis par des membres de ces milices paramilitaires, sont restés impunis. Dans certains cas les enquêtes ouvertes initialement n’ont pas été poursuivies et dans d’autres cas aucune enquête n’a été ouverte.
Des membres de milices paramilitaires mis en examen pour assassinats et autres crimes graves ont été promptement mis en liberté provisoire, mesure qui n’est généralement pas accordée aux personnes accusées de tels crimes.
Amnesty International souhaite réitérer les recommandations qu’elle a adressées aux autorités algériennes dans le passé. Il faut procéder au démantèlement de toutes les milices paramilitaires et veiller à ce que les opérations de sécurité soient menées exclusivement par des responsables de l’application des lois ayant reçu la formation nécessaire et agissant dans un cadre les obligeant à répondre de leurs actes. L’Organisation souhaiterait également recevoir des informations concernant le nombre exact des membres des différentes milices paramilitaires.
– Enquêtes concernant des cas de torture, exécutions extrajudiciaires, morts en détention, massacres, meurtres et autres abus
Le passage des mois et des années n’a pu effacer ou diminuer la douleur des victimes et des familles des victimes ni n’a réduit leur soif de vérité et de justice. Ainsi, la nécessité d’établir la vérité, d’identifier les responsables, de s’assurer que justice soit faite et que les victimes bénéficient des idemnisations auxquelles elles ont droit – dans tous les cas et pour toutes les victimes – demeure une priorité. Amnesty International est consciente de l’ampleur de la crise qu’a vécue l’Algérie au cours des années passées. Nous sommes également conscients que le nombre des victimes et la complexité de la situation constituent un obstacle pour mener à bien les enquêtes dans des délais raisonnables. Il est compréhensible qu’il ne soit possible à l’heure actuelle de connaître les réponses à toutes les questions ni de disposer de l’ensemble des éléments permettant d’établir les faits et les responsabilités dans chaque cas. Cependant, si les efforts nécessaires sont consacrés, il est possible de faire la lumière sur nombre de cas en souffrance.
L’Organisation estime que la mise en application des recommandations qu’elle a adressées aux autorités algériennes, ainsi que des recommandations émises par le Comité des droits de l’homme des Nations unies en août 1998, pourraient contribuer à apporter des réponses et des solutions aux nombreuses préoccupations évoquées dans ce mémorandum.
La majorité des familles des victimes avec lesquelles Amnesty International a pu être en contact au cours des dernières années, y compris durant sa récente visite en Algérie, ont affirmé n’avoir pu obtenir les informations nécessaires concernant les circonstances de la mort de leur proche et/ou concernant les enquêtes qui auraient été menées pour identifier les responsables de ces crimes.
Ces informations et précisions ne pourront certes suffire à soulager la douleur des familles des victimes, mais elles font partie des éléments nécessaires pour que ces familles puissent commencer à faire leur deuil. Les doléances dont nous ont fait part les familles des victimes peuvent être divisées en quatre catégories :
– Les familles des personnes qui ont été enlevées par des groupes armés et qui ont été informées, souvent des mois ou des années plus tard, que leurs proches avaient été tués, et qui dans certains cas ont reçu des certificats de décès, mais n’ont ni reçu les corps ni n’ont été informées du lieu d’inhumation. La majorité de ces familles n’ont pu obtenir aucune information concrète concernant les circonstances exactes dans lesquelles leurs proches ont été tués, ni concernant l’identification des victimes.
– Les familles des personnes assassinées par des groupes armés individuellement ou dans des massacres et qui dans certains cas connaissent l’identité des assassins mais n’ont pu obtenir aucune information concernant les enquêtes qui auraient été menées.
Dans certains cas, les autorités ont annoncé, soit aux familles, soit par le biais de déclarations publiques, que les responsables de ces assassinats ou massacres avaient été tués ou-dans certains cas-arrêtés, mais ont refusé de communiquer aux familles toute information sur les enquêtes leur ayant permis d’arriver à ces conclusions.
– Les familles des personnes qui ont été tuées, soit dans des confrontations armées ou après avoir été arrêtées par des services de sécurité ou des milices paramilitaires et qui ont été informées, souvent des mois ou des années plus tard, que leur proche avaient été tués, et qui dans certains cas ont reçu des certificats de décès, mais qui n’ont ni reçu les corps ni n’ont été informées du lieu d’inhumation, ni des circonstances du décès, ni de la manière ayant permis l’identification des corps.
– Les familles des personnes ayant «disparu» après avoir été enlevées par des services de sécurité ou par des milices paramilitaires, et dont les autorités ont par la suite affirmé qu’elles avaient été enlevées et assassinées par des groupes armés mais qui n’ont jamais reçu les corps ni ont été informées du lieu où les corps ont été enterrés, ni des circonstances des décès, ni de comment il a été procédé à l’identification des corps.
Selon les informations rendues publiques par les différentes autorités, les charniers découverts
au courant des deux dernières années contenaient les corps d’hommes et de femmes enlevés et assassinés par des groupes armés. Selon d’autres sources, y compris des personnes ayant participé à l’extraction des cadavres de certains charniers, ceux-ci contenaient également les corps de membres de groupes armés. Selon les informations reçues des familles des victimes et de leurs associations, les autorités n’ont jamais fait appel à elles-notamment aux familles de la région-pour identifier les cadavres, et ont souvent refusé de communiquer toute information aux familles qui, ayant appris la découverte de charniers, les ont contactées. Les informations concernant le nombre de corps retrouvés dans les charniers découverts à ce jour sont parfois contradictoires. Concernant le charnier de Haouch Hafidh, selon les informations communiquées par les autorités judiciaires locales à la délégation d’Amnesty International qui s’est rendue que les lieux en mai dernier, 52 corps ont été exhumés et un seul a pu être identifié par la famille de la victime qui avait elle-même pris contact avec les autorités. Selon le rapport de l’ONDH, 64 corps ont été exhumés. Le manque d’informations, d’une part, et l’existence d’informations contradictoires, d’autre part, contribuent à augmenter la confusion et l’angoisse des familles des victimes. Celles-ci ont de la peine à comprendre comment les autorités ont pu arriver à la conclusion que les cadavres retirés des charniers étaient ceux de leurs proches enlevés et assassinés par des groupes armés, surtout en l’absence de toute information sur l’identification de ces victimes, alors qu’en même temps les autorités locales leur disent que la majorité ou la totalité des cadavres n’ont pu être identifiés.
De nombreuses questions ont également été soulevées concernant le nombre des victimes depuis le début du conflit. En février 1998, le Premier ministre algérien a déclaré que 26 536 civils et membres des services de sécurité avaient été assassinés antre janvier 1992 et fin 1997. En juin 1999, le Président de la République a déclaré que 100 000 personnes avaient été tuées depuis le début du conflit. D’autres sources, y compris des partis politiques de la coalition gouvernementale, avancent des chiffres supérieurs-entre 120 000 et 150 000. En même temps, le recoupement des informations officielles faisant état aussi bien des assassinats et des massacres commis par des groupes armés que des opérations des services de sécurité ayant entraîné la mort de membres de groupes armés depuis le début du conflit ne permet nullement d’arriver à un tel chiffre.
Cependant, le chiffre de 26 536 civils et membres des services de sécurité tués jusqu’à la fin 1997 avait été considéré comme inférieur à la réalité aussi bien par Amnesty International que par d’autres organisations des droits humains internationales et algériennes, y compris toutes les organisations et associations algériennes de familles des victimes des groupes armés, avec lesquelles se sont entretenus les délégués d’Amnesty International durant leur visite en Algérie en mai 2000 et auparavant. Le manque d’informations complètes et précises et l’existence d’informations contradictoires ont souvent contribué à entretenir la confusion et ont donné lieu à des spéculations qui ont augmenté l’angoisse des familles des victimes. Ainsi, si les informations nécessaires, et notamment les précisions suivantes, étaient rendues publiques cela permettrait de clarifier la situation et de mettre fin aux spéculations :
– des précisions sur les différents chiffres donnés par les autorités concernant le nombre des victimes du conflit depuis 1992, notamment le nombre des personnes, civiles ou militaires, assassinées par des groupes armés ainsi que le nombre des membres des groupes armés ou autres tués par les services de sécurité et par les milices paramilitaires, et les circonstances dans lesquelles ils ont été tués;
– des précisions concernant les corps retrouvés dans les charniers découverts à ce jour, notamment le nombre exact des dépouilles et des détails sur les enquêtes, et les résultats de celles-ci, pour identifier les corps.
Concernant les cas d’allégation d’actes de torture qui auraient été commis par des membres des services de sécurité, aucun des cas dont Amnesty International a connaissance ne semble avoir fait l’objet d’une enquête ni avoir donné lieu à des poursuites judiciaires à l’encontre des responsables de la torture.
À ce jour il n’a pas été possible d’obtenir une seule information sur le suivi de plaintes pour torture. Les personnes qui ont déposé de telles plaintes n’ont jamais été entendues par les autorités judiciaires. Les seules informations qui ont pu être obtenues auprès des autorités algériennes à ce sujet sont des références d’ordre statistique selon lesquelles un certain nombre de membres des services de sécurité auraient fait l’objet de poursuites judiciaires et certains auraient été condamnés.
Des responsables au ministère de la Justice ont informé la délégation d’Amnesty International lors d’une rencontre en mai 2000 qu’entre 1993 et février 2000, 348 membres des services de sécurité ont été poursuivis en justice, dont huit ont été acquittés, pour différents crimes, y compris ceux d’homicide volontaire et de coups et blessures contre des personnes détenues en garde à vue.
Cependant, aucune précision n’a pu être obtenue concernant l’identité de ces personnes ou des victimes, la nature des violations, les enquêtes engagées et les conclusions de celles-ci, ou les procès dans lesquels ces personnes ont été condamnées. L’administration de la justice étant un sujet d’intérêt public il n’y a aucune raison pour que les membres des services de sécurité qui se sont rendus responsables d’actes de torture et qui ont été condamnés en raison de ces crimes bénéficient d’un anonymat dont ne bénéficie aucun autre citoyen condamné en vertu des lois en vigueur.
Par ailleurs, en ce qui concerne les cas de torture commis par des groupes armés, notamment le viol de femmes, il n’a pas été possible à ce jour d’obtenir des informations sur les cas où les individus coupables de ces crimes auraient été arrêtés, traduits en justice et condamnés. Cette doléance a été exprimée aussi bien par les victimes que par les associations de femmes, qui de plus se plaignent de l’absence d’indemnisation et de prise en charge et de suivi pour ces victimes. Étant donné la nature particulièrement sensible de ce type de crime, aussi bien en terme de traumatisme pour les victimes qu’en terme des tabous qui entourent la question, des efforts particuliers doivent être déployés pour créer les conditions nécessaires pour assurer que justice soit faite et que les victimes puissent bénéficier d’une prise en charge adéquate pour surmonter le traumatisme physique et psychologique, ainsi que d’indemnisations, au même titre que les autres victimes des groupes armés. Nous souhaiterions recevoir toute information concernant les dispositions existantes pour la prise en charge et l’indemnisation des femmes victimes d’enlèvement et de viol de la part des groupes armés.
Amnesty International a connaissance des dispositions en vigueur concernant l’indemnisation des victimes assassinées par des groupes armés et a reçu des informations à ce sujet des différentes associations de familles de victimes des groupes armés, ainsi que par des familles de ces victimes;
Cependant, l’Organisation n’a jamais pu recevoir d’information concernant une éventuelle indemnisation de victimes des services de sécurité. Dans aucun des cas de torture, de décès en garde à vue, ou d’exécutions extrajudiciaires, survenues dans les huit dernières années et répertoriés par Amnesty International, les victimes ou leurs familles n’ont reçu une quelconque indemnisation. Aucune indemnisation n’a été versée par les autorités aux familles des personnes ayant «disparu» après avoir été enlevées par des services de sécurité ou par des milices paramilitaires, et dont les autorités ont par la suite affirmé qu’elles avaient été enlevées et assassinées par des groupes armés. De telles pratiques sont contraires aux normes internationale en la matière, notamment aux dispositions du PIDCP, qui stipule dans son Article 2 que :
«3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu, justifié».
et dans son Article 9 que :
«5. Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation».
Nous souhaiterions recevoir des informations sur les personnes qui ont bénéficié d’indemnisation, qu’elles soient victimes de violations des droits humains de la part des services de sécurité ou des milices paramilitaires, ou familles de ces victimes, si ces dernières sont décédées.
Si effectivement des mesures ont été prises, il serait opportun de faire en sorte que celles-ci soient connues afin de restaurer la confiance et l’espoir des victimes et de leurs familles. Aussi, Amnesty International souhaiterait recevoir les informations disponibles sur les mesures qui auraient éventuellement été prises, afin de pouvoir intégrer ces éléments dans ses analyses et ses rapports.
Nous souhaiterions plus particulièrement recevoir les informations suivantes :
– la liste de 340 membres des services de sécurité condamnés pour torture, exécutions extrajudiciaires et autres violations commises et les détails des enquêtes et de procès (date et lieu des procès, chefs d’inculpation retenus contre les responsables des violations et condamnations imposées), ainsi que de tout autre cas en sus des 340 mentionnés par le ministère de la Justice ;
– les informations disponibles concernant des cas de poursuites et condamnations de membres de groupes armés responsables de viols et d’autres actes de torture ainsi que les informations concernant les enquêtes menées dans tels cas.
Fin


1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l’Algérie (CCPR/C/101/Add.1) au cours de ses 1681e, 1682e, 1683e et 1684e séances, tenue les 20 et 21 juillet 1998 (CCPR/C/SR, 1681 à 1684). Dans ses observations finales, adoptées à sa 1696e séance, le 29 juillet 1998 (CCPR/C/SR.1696) le Comité a demandé aux autorités algériennes : «De faire en sorte que toutes les allégations spécifiques fassent l’objet d’une enquête par un organe impartial et que les résultats de cette enquête soient publiés».
2. Comité des droits de l’homme (63e session), août 1998, CCPR/C/79/Add.95, Algérie. Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l’Art. 40 du Pacte. Observations finales du Comité des droits de l’homme. Algérie, paragr.10.

 

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