Affaire Matoub Lounès: lettre de Me Khelili

Exp: Khelili Mahmoud, avocat au barreau d’Alger, 9 avenue Gheboub Boualem, El Harrach, Alger, agréé à la cour suprême.

M. le juge d’instruction près le tribunal de Tizi-Ouzou, première chambre, siège du palais de justice (tribunal) à Tizi-Ouzou.

Monsieur le juge d’instruction

J’ai l’honneur en ma qualité de conseil de Chenoui Hakim et de Medjnoun Malek*, ce dernier pour lequel je viens d’être constitué par son père, Monsieur Medjnoun Si Ali, après le départ définitif d’Algérie de son avocat Maître Mesli, lesquels sont placés sous mandat de dépôt après avoir été inculpés de chefs en relation avec l’assassinat du chanteur Matoub Lounès, de solliciter une mesure de main levée en leur faveur et une remise en liberté sans délais pour les motifs ci-après exposés:

Outre le fait qu’ils aient nié catégoriquement les faits à eux reprochés en votre présence et les déclarations rendues publiques par la famille du défunt, d’où il résulte de façon tout à fait élémentaire que mes mandants n’ont rien à voir avec l’assassinat du chanteur, lequel assassinat caractérisé par une opacité et une insuffisance en matière d’enquête et d’information judiciaire en vue de la manifestation de la vérité, d’autres éléments viennent d’être révélées, permettant d’atteindre cette vérité et de vous faciliter l’accomplissement de votre délicate et sensible mission.

Ces éléments constitués de lourdes présomptions tendant à identifier les personnes auxquelles il serait possible d’imputer la responsabilité de cet odieux assassinat, ont été révélés par la télévision française canal +, le 31 octobre 2000 à 21 heures.

Il est donc constant et sans équivoque d’après ces éléments que mes mandants n’ont aucune responsabilité dans ce gravissime crime d’où l’absolue nécessité d’un complément d’information, et d’où il échoit de constater que le maintien en détention préventive de mes mandants est devenu sans base légale et sans aucun intérêt pour la manifestation de la vérité. En conséquence, de quoi il y a lieu à remise en liberté de mes mandants, d’autant plus que la détention préventive est une mesure exceptionnelle et que la procédure judiciaire qui leur avait été appliquée est nulle, notamment au niveau de l’enquête préliminaire menée par les officiers de police judiciaire au cours de laquelle ils ont été soumis à des actes de violence et de tortures dans le but de leur soustraire des déclarations et des aveux contraires à la vérité et à leurs intérêts en vue de leur imputer la responsabilité de l’assassinat du défunt Matoub Lounès, selon le proverbe populaire: « que peut faire un mort entre les mains de son laveur? ».

Et pour conclure, et compte lieu de ce qui précède et de ce que je représente la défense des prévenus, je suis contraint légalement, juridiquement, moralement et logiquement de solliciter la citation à comparaître en qualité de témoins et leur audition en cette qualité sur tout ce dont ils ont connaissance dans cette affaire d’une absolue gravité, des personnes ci-après:

– l’officier supérieur Ben Baali Ali (suivant sa présentation dans l’émission, opposant politique résidant à l’étranger),

– le docteur Said Sadi, député et président d’un parti politique (RCD),

– M. Nouredine Ait hamouda, député,

– Mme VVE Nadia Matoub, épouse de la victime et la sour de celle-ci,

– Mme Malika Matoub, sour du défunt.

Ainsi vous ferez justice

Le 31 octobre 2000

Signé Mahmoud Khelili

Copies à:

M. le Président de la République
M. le Premier Ministre
M. le Ministre de la Justice
M. le Procureur général près de la cour de Tizi-Ouzou
M. le Président de la chambre d’accusation de Tizi-Ouzou
M. le président du Sénat
M. le Président de l’APN d’Alger.

* aw: M. Medjnoun Malek a été enlevé le 28 septembre 1999 par des agents de la Sécurité Militaire et détenu au secret en partie à Chateauneuf jusqu’en mai 2000.