Assassinat de A. Hachani: Boulemia condamné à mort

Procès de l’assassinat de Hachani

Fouad Boulemia condamné à mort

Daikha Dridi, algeria-watch 16 avril 2001, article non publiésous cette forme en Algérie parce que censuré

Démarré à 9h50, le procès de Fouad Boulemia est bouclé à 17h15 pile. Chronique d’un procès urgent. Top chrono.

De toutes les étapes de ce procès chirurgical, c’est bien celle de la lecture de l’acte d’accusation qui aura pris le plus de temps. Fouad Boulemia, la peau aussi blanche que noir corbeau sont ses cheveux, a « les yeux très mobiles », remarque un célèbre avocat présent par curiosité et apparemment fin connaisseur en morphologie criminelle : « ce sont les yeux d’un tueur », asserte-t-il. Et si son visage est une énigme pour le commun des mortels, ses mains agitées, elles, parlent : ses longs doigts effilés ne cessent de se croiser et s’entrecroiser.

Né le 18 juillet 73 à Alger, il arrête sa scolarité en terminale. Aîné d’une famille de sept enfants, son père est chauffeur salarié d’une entreprise publique. Il travaille, dira-t-il, avec un ami qui vend des meubles à Cherarba, banlieue volcanique du début des années 90, « jusqu’en 1995 où j’ai décidé de rejoindre les groupes armés, parce que deux de mes amis ont été enlevés par le DRS et sont à ce jour portés disparus ». Petite moustache naissante, rasé de près, chemise ample à grands carreaux sur pantalon en toile beige, chaussures montantes sans lacets, il est le portrait tout ce qu’il y a de commun, propre sur lui-même, des jeunes Algérois.

Seuls le père, et deux oncles de l’accusé sont présents, il n’y a pas l’ombre d’un membre de la famille du défunt, pas celle d’un dirigeant islamiste.

A son premier interrogatoire, le 22 décembre 1999, Fouad Boulemia avoue, lit le greffier « avoir rejoint les groupes terroristes au printemps 1995 ». Sous la bannière du GIA, il passera de katiba en katiba, de Boufarik à Oulad Slama, des Eucalyptus à Baraki pour finir au maquis de Chrea chez Antar Zouabri et sa célèbre « katiba khadra ». C’est Antar Zouabri qui l’envoie à Alger « relancer les activités dans la capitale », dans un groupe « dirigé par le dénommé « Kaakaa » installé dans la forêt du complexe olympique du 5 Juillet. » Puis Boulemia se retrouve tout seul, les services de sécurité ayant éliminé tous ses compères. Jusque-là impassible, le visage de l’accusé se met à faire danser un petit sourire nerveux. « Dans la nuit du 21 novembre 1999, il souffre tellement d’une dent qu’il décide de l’extraire dès le lendemain matin », continue le greffier. « Il quitte donc la mosquée de Mohammadia, où il se réfugiait la nuit et se rend », à l’autre bout d’Alger, « à Bab el Oued.

A la clinique dentaire par laquelle il commence, près de la mosquée Etaqwa, on lui explique que le dentiste ne sera là qu’après midi ». Il se rend alors, sur conseil de jeunes rencontrés sur son chemin, au cabinet de Mme Bedjiah Souraya qui, lui assure-t-on, travaille le matin. Dans la salle d’attente, il reconnaît Abdelkader Hachani, en discussion avec un autre patient. « Dès qu’il le vit, l’idée de l’assassiner lui vint puisqu’il était armé et que Hachani était considéré comme l’un des symboles de la djaz’ara, mouvement ennemi des groupes armés », explique l’arrêt de renvoi. Abdelkader Hachani est appelé par le médecin, tandis que Boulemia arpente la salle d’attente. Quelques instants plus tard, Hachani sort accompagné de l’infirmière, il salue le patient avec qui il discutait, il serre aussi la main de son futur assassin et se dirige vers la porte, « Boulemia sort son arme, la pointe sur la base du crâne de Hachani et tire un seul coup. Hachani s’effondre, Boulemia ramasse la serviette du défunt, menace l’infirmière en la sommant de lui ouvrir la porte ». Il arrête un taxi, où il essuie discrètement le sang, direction Premier Mai. Là, il prend la carte d’identité de Hachani et met le reste des documents dans un sachet qu’il donne à un enfant, puis va passer la nuit à Mohammadia. Le lendemain il se rend chez un ami employé aux PTT qui lui permet d’utiliser son fax : il rédige à la main le communiqué revendiquant l’assassinat de Hachani par le GIA et l’envoie à El Watan et El Khabar. Il est arrêté le 13 décembre à l’arrêt de bus du Premier Mai. Fin du premier acte.

Lorsque le juge, à la voix tranchante et au visage angulaire, encadré de deux assesseurs sommeillant, l’appelle, Fouad Boulemia reconnaît avoir fait partie des groupes terroristes islamistes, « mais je ne m’occupais que de l’information, de la communication », dit-il. « Le 13 décembre 1999, je suis arrêté par ceux-là mêmes que j’ai fuis en 1995, les DRS. Je n’avais pas d’arme sur moi. Ils m’ont torturé. Je n’ai pas tué Hachani. Ce qui est raconté c’est le scénario des moukhabarate (services secrets) ». Le juge l’interrompt, « ce n’est pas ce que tu as dit au juge d’instruction ». « Ils m’ont torturé au maximum vous comprenez ? Puis le général Toufik est venu, il m’a dit : ana rabha (c’est moi le patron) tu vas voir ce que je vais faire de toi. Accepte de dire que tu as tué Hachani et tu auras quinze ans de prison, tes parents pourront te voir en prison. Sinon je vais t’emmener chez ta mère que je vais éventrer devant toi. C’est moi le général Toufik, Rab Edzayer (Le bon Dieu de l’Algérie). Vous savez pas qui est le général Toufik ? Toute l’Algérie le connaît, qu’est-ce qu’un juge d’instruction à côté ? Ce sont les officiers qui me torturaient qui m’emmenaient à l’instruction. Je ne prendrai pas la responsabilité de la mort de Hachani, non. » La salle jusque-là plongée dans une torpeur encouragée par les bâillements des assesseurs, s’ébroue de curiosité, même le juge n’interrompt pas le prévenu, et c’est … son avocat qui stoppe le récit. Me Khamis, 33ans, se met à tempêter qu’il exige la présentation du général Toufik à la barre, sinon il se retire. Le juge va jusqu’à lui accorder un acte écrit des révélations du prévenu et lui demande de laisser continuer Boulemia. « Oui, oui il parle mais ça ne sert à rien, j’exige que le général soit présenté sinon je pars », surenchérit l’apprenti sorcier qui fait balancer l’audience du kafka underground au vaudeville de mauvais goût. Le juge et ses adjoints se retirent.

Pendant la halte, Me Khamis est discrètement appelé du côté où se sont retirés les magistrats. Quand il revient, il s’entretient dans une discussion animée avec son mandant. Arrivent enfin les membres de la cour. L’audience reprend son cours comme si rien ne s’était passé. L’avocat n’explique à personne pourquoi il est toujours là, alors que personne n’a voulu lui ramener son général. Boulemia n’est plus rappelé à la barre, il ne sera ni questionné par sa défense ni par le procureur. Il est 11h40 et on fait défiler les témoins. 17 en tout. Les trois premiers, l’infirmière, le patient qui se trouvait avec Hachani et un jeune du quartier qui affirme avoir croisé le tueur dans les escaliers, sont formels : « c’est bien cet homme-là que j’ai vu ». La seule fois où l’accusé bénéficie de son droit de poser des questions aux témoins, il demandera à l’infirmière dans quelles circonstances exactes s’est tenue sa confrontation avec lui. L’infirmière bafouille. Lui dit qu’ils l’ont mis devant elle, entouré d’une quinzaine d’officiers de la police et de l’armée et qu’ils se sont mis à lui crier « c’est lui n’est-ce pas, tu le reconnais ? n’aie pas peur, c’est bien lui ?..  » Mais l’infirmière affirme que les conditions de la confrontation lui ont semblé « normales » et Boulemia se lève et crie : « crains Dieu, le faux témoignage est le pire des crimes… « . La parole ne lui sera plus donnée. Suit une ombre de dentiste, maigre et pâle, qui n’a pas vu l’assassin. Deux gardiens du « parking » d’en face du cabinet dentaire disent n’avoir vu qu’une « Super cinq grise, stationnée devant l’immeuble, et à l’intérieur des hommes portant des talkies-walkies grésillant. Ils n’ont pas bougé de la voiture, y compris quand la police est arrivée sur les lieux du crime ». Et puis passent à la barre toutes sortes d’hommes, de femmes, qui n’étaient pas là, n’ont rien vu, rien entendu et ne comprennent pas pourquoi ils ont été convoqués. Les questions de la défense sont crypto-psychologiques. Leurs témoignages sont abattus à la chaîne et la séance est levée à 13h.

A 14h15, la partie civile, représentée par Me Khellili, affirme que ce procès ne lui pas donné de quoi être convaincue ni de l’innocence, ni de la culpabilité de Fouad Boulemia. Le réquisitoire du procureur est liquidé en un temps record. Les juges maintiennent difficilement leurs paupières ouvertes. La plaidoirie de Me Khamis est jonchée de questions qui se terminent par « Sobhane Allah »!

Quelques rares moments forts : l’avocat informe l’assistance que le témoin qui aujourd’hui reconnaît formellement Boulemia avait déjà, selon ses dépositions antérieures, reconnu un dénommé « Abdelaoui » aussi formellement. Il cite également la description physique faite par l’infirmière et le patient, avant l’arrestation de Boulemia : « Grand, très costaud et brun de peau », ce qui fait sourire l’accusé, moyen de taille, svelte et très blanc de peau. L’avocat montre à tous le portrait robot, sur la base duquel Boulemia aurait été arrêté, ce qui semble ressusciter le prévenu passé dans un ailleurs depuis un bon moment. A 16h10, les juges se retirent pour délibérer. A 17h10, ils sont de retour. Fouad Boulemia, sans sa défense, pas au courant de la preste reprise de l’audience, entend réciter pendant cinq exactes minutes le chapelet des questions-réponses. Condamné à mort. Il se lève, salue rapidement son vieux père et disparaît.

 

 

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