FFS: Note remise à la délégation de l’OTAN

FRONT DES FORCES SOCIALISTES
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Note remise à la délégation de l’OTAN
à la suite de sa visite au groupe parlementaire du FFS

Depuis quelques années, les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France entraînent et assurent la formation des armées de certains pays d’Amérique latine et d’Afrique afin de :

– Consolider ces Etats et aider à combattre les guérillas ou à lutter contre le narcotrafic.

– Assurer l’exploitation des ressources énergétiques et stratégiques.

– Disposer à tout moment de relais régionaux puissants pour des opérations
de maintien de la paix.

Ce projet, généreux au demeurant, est néanmoins porteur d’un danger certain.
Il permet de renforcer les pouvoirs militaires au détriment de gouvernements civils qui ne cessent de s’affaiblir.

La mort de 18 américains en 1993 en Somalie a traumatisé l’opinion publique américaine. Suite à cela, il a été décidé de confier à des  » pays pivots  » supplétifs, la sous-traitance d’opérations de maintien de la paix ou de protection des droits de l’homme tout en leur faisant jouer le rôle de leaders militaires régionaux.
Mais dans le cas de régimes autoritaires ou de pays en voie de démocratisation, ce projet peut s’avérer périlleux. Sans moyens de contrôle civil des armées, celles-ci s’érigent en acteur unique du pouvoir. Cela peut donner lieu à une vague de militarisation intérieure et régionale d’un nouveau genre avec pour conséquences :

1- L’usage illégal et arbitraire de la violence par les forces de sécurité ;

2- Le durcissement des instruments de violence en même temps qu’un effondrement de la société civile et du processus de démocratisation ;

3- La tentation par les détenteurs militaires du pouvoir de poursuivre des  » sales guerres  » là où il y a des conflits.

C’est le cas de l’Algérie.

La guerre qui sévit dans notre pays depuis 10 ans n’est pas une guerre passagère car les racines de la violence sont profondes. Elles sont dans la nature militaire et dictatoriale du régime qui a érigé l’omerta et l’impunité en règles, aussi bien à l’intérieur du pays que sur le plan international.
Dans ce dernier cas, la responsabilité de la communauté internationale est entière du fait qu’elle continue de tenir compte de  » l’exception algérienne  » et d’une conception spécifique des droits de l’homme et de la démocratie.

Or, le bilan de ces dix dernières années est édifiant :

Au plan sécuritaire :

– 150.000 à 200.000 morts par des égorgements collectifs, attentats à la bombe, assassinats, exécutions sommaires.

– Plus de 10.000 disparitions forcées.

– 1 million de personnes victimes de la violence et handicapées.

– Le nombre de personnes déplacées fuyant l’insécurité régnant dans les campagnes se chiffre à des centaines de milliers. Cet exode massif à huis clos est à l’origine de ceintures de bidonvilles autour des grandes villes.
Ces lumpen constituent une véritable armée de réserve des groupes armés et sont pourvoyeurs d’une délinquance de plus en plus importante.

– La torture et autres violations des droits de l’homme sont systématiques.

Au plan socio-économique, les réformes engagées sont complètement bloquées alors que :

– l’appauvrissement et la misère s’étalent dangereusement avec la disparition des couches moyennes ;

– le chômage touche près de 40% de la population active et atteint surtout les jeunes qui représentent 75% de la population ;

– la crise du logement est sans précédent ;

– la réapparition à grande échelle des maladies qui étaient éradiquées ou en voie d’extinction (telle que la tuberculose, le choléra, la typhoïde…).

Au plan politique, nous assistons à une impasse intégrale et un blocage sans précédent dans tous les domaines.

– Aucune perspective viable de sortie de crise n’est envisagée. La  » concorde civile  » issue d’un accord entre l’armée et l’AIS (armée islamique du salut) est un échec patent puisque les massacres continuent (On dénombre actuellement près de 200 morts par semaine).
Nous avions dénoncé en son temps cette concorde civile qui n’était, une fois de plus, qu’une fausse solution à un vrai problème.

– Les institutions issues de scrutins marqués par des fraudes massives sont des institutions croupions et de véritables chambres d’enregistrement.

– Les entraves à l’action des partis politiques et des organisations sociales sont le lot quotidien.

– Les manifestations sont interdites sous couvert de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992.

– Des partis politiques sont interdits sans motif à l’exemple de WAFA et du Front Démocratique.

– Les médias publics sont inaccessibles à l’opposition. Quant à la télévision, le chef de l’Etat a déclaré publiquement qu’elle est le monopole exclusif de l’Etat.

– La presse privée n’est pas indépendante, à cause des pressions économiques et du harcèlement judiciaire permanent dont font l’objet les journalistes.

– des journaux sont interdits de parution à l’exemple de La Nation.

– La dépendance de la justice par rapport aux pouvoirs réels atteint des niveaux de plus en plus scandaleux. Les Algériennes et les Algériens sont privés de tout recours devant l’arbitraire et les atteintes systématiques à leurs Droits fondamentaux.

Enfin, c’est un pays de non droit, c’est le règne de l’impunité accordée aux tenants du pouvoir et aux terroristes. La formule Kafkaïenne de  » crimes sans criminels et de criminels sans crimes  » trouve des innombrables illustrations quotidiennes dans ce conflit.

Devant cette situation dramatique, la communauté internationale ne peut rester aveugle et sourde d’autant plus qu’il y a aujourd’hui des témoignages, à visage découvert, de rescapés des massacres ou de militaires des forces spéciales, notamment à travers la publication de deux livres Qui a Tué à Bentalha ? de Nesroullah Yous et La Sale Guerre de Habib Souaïdia.
La communauté internationale ne peut plus rester indifférente devant une population martyrisée, désespérée ne possédant aucun recours interne ou externe.
L’assistance des pays de l’Union Européenne au pouvoir algérien, sous couvert de lutte anti-terroriste au détriment de la paix, de la bonne gouvernance, de la démocratisation et de la défense des droits de l’homme, en violation flagrante de la Déclaration de Barcelone, doit cesser. Ces points fondamentaux de la déclaration doivent être prioritaires.

A ce propos, nous nous interrogeons sur l’absence d’implication des USA dans le pacte de Barcelone et le processus de sa mise en oeuvre.
Les principes indiscutables de paix, de bonne gouvernance et de démocratie qui en constituent le socle ne seraient-ils pas une garantie que la présence américaine, de fait en tant que puissance méditerranéenne, échappe aux tentations du gendarme pour aider à promouvoir les conditions d’un véritable partenariat entre les deux rives. C’est en tous cas un devoir moral et politique pour les partenaires de notre pays d’opérer une révision déchirante dans leur gestion/ou non gestion de la tragédie algérienne.

L’une des priorités est de se libérer eux mêmes de la politique du silence et du laisser faire, pour contribuer à mettre fin au climat de peur et de terreur qui tétanise les Algériennes et les Algériens.
Le courage de nos compatriotes n’est pas seulement légendaire au passé.
Quand on sait que malgré les tueries, l’état d’urgence et les cascades de pouvoirs spéciaux accordés sans le moindre contrôle à tous les échelons des multiples appareils sécuritaires, ils se sont toujours engouffrés en masse à chaque semblant d’ouverture pour manifester pacifiquement.
Ils ne sont pas moins dynamiques que les opposants yougoslaves mais ils reconnaissent à ces derniers la formidable chance d’être assurés que l’armée n’oserait pas mitrailler la foule de peur de déclencher de redoutables réactions de solidarité européennes immédiates.
Les Algériens sont assurés du contraire : que les généraux qui ont réprimé impitoyablement les manifestants d’octobre 1988, pour ne citer que cet événement, n’hésiteraient pas le cas échéant à rééditer un bain de sang.

Impunité oblige.

C’est dire que le retour pacifique à la transition démocratique comme en Yougoslavie est aussi possible en Algérie pour peu qu’on fasse tomber le mur de la peur par la multiplication des signes de solidarité de la communauté internationale, et par l’implication des institutions internationales des Droits de l’Homme notamment par :

1- L’envoi de rapporteurs spéciaux des Nations Unies, refusé jusqu’à ce jour par l’Algérie. La commission des Droits de l’Homme devant se réunir début avril, il est urgent d’intercéder auprès de celle-ci pour l’envoi de ces rapporteurs sur la torture, sur les exécutions extrajudiciaires, ainsi qu’un groupe de travail sur les disparitions forcées.

2- Une représentation officielle et permanente du Secrétaire Général de l’ONU pour l’observation et/ou les  » bons offices  » comme cela s’est fait dernièrement en Birmanie.

3- Une commission d’enquête permanente sur la violence. Elle pourrait jouer un rôle préventif et dissuasif concernant les violations des droits de l’homme et les massacres qui continuent.

4- Lier tout accord avec l’Algérie par des conditionnalités politiques effectives portant sur le retour à la paix, la démocratisation et le respect des Droits de l’Homme.

Vu la position géostratégique du Maghreb, l’Histoire en a fait la clef de la maîtrise de la Méditerranée depuis les phéniciens jusqu’à l' » opération torche  » en 1942. C’est souligner que l’Afrique du nord peut jouer le rôle d’un bastion de modernité et de coopération entre l’occident et le monde arabe, entre l’occident et le monde islamique, entre l’occident et l’Afrique.
Encore faut-il que le Maghreb devienne une réalité. Qu’il puisse reconstruire son unité et se donner tous les moyens démocratiques pour permettre aux maghrébines et aux maghrébins de participer pleinement au développement de leur entité régionale.

Il s’agit là, au point de vue de l’OTAN, d’une urgence stratégique. Aussi faut-il mettre fin à la violence en Algérie qui risque de gangrener l’ensemble du Maghreb parce que, contrairement à ce qui est dit, il est impossible de la maintenir à l’intérieur de nos frontières.
L’Histoire témoigne de la rapidité avec laquelle se sont faites et défaites les dynasties qui ont régné dans la région, à cause du phénomène de transmission de colline en colline et d’Atlas en Atlas, mis en évidence par le célèbre historien français Charles André Julien.
Cette contamination se ferait par idéologie mais aussi par hostilité à l’occident qui laisse les populations se faire massacrer, et le pays se faire dépecer.

Au Maroc, l’alternance a permis la restauration du politique et par là même, la résorption de la violence souterraine, illisible et invisible, par l’expression politique responsable. Si le développement commun dans le Maghreb est bloqué il faudra faire face à l’aggravation des problèmes sociaux et à l’impatience des exclus. Et faire échouer l’expérience démocratique au Maroc en poussant à la radicalisation politique, sociale et identitaire menace la paix dans la région.

On ne mesurera jamais assez les conséquences, sur toute la région méditerranéenne, d’une guerre civile généralisée au Maghreb. Cela risque, en effet, d’embraser les pays des deux rives, étant donné la dialectique de solidarité qui lie la paix dans cette région et le processus de paix au proche orient.

Alger, le 12 mars 2001

N.B. Les députés du FFS auraient souhaité un entretien plus serein et plus fécond. Nous aurions surtout voulu vous économiser des manigances d’autoritarisme désagréable.

 

 

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