FFS Memorandum:  » Pour une transition démocratique « 

FFS
Front des Forces Socialistes

MEMORANDUM

 » Pour une transition démocratique « 

La Constituante, aux sources du projet démocratique

Notre projet démocratique plonge ses racines dans le mouvement indépendantiste qui a mobilisé les énergies patriotiques autour de valeurs universelles et modernes : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et celui des Algériens à construire un Etat de droit. Il n’appartenait en effet à aucun homme, aucun groupe, aucun appareil, de se substituer à la volonté populaire.

Depuis la naissance du premier parti indépendantiste, l’Etoile nord-africaine, la principale revendication des Algériens était de pouvoir doter leur Etat indépendant de fondements constitutionnels. Après qu’ils aient arrachés leur droit à l’autodétermination – consacré par référendum -, une Assemblée nationale constituante a donc été élue pour élaborer et adopter une constitution.

Cette assemblée constituante n’a pas tardé à être dessaisie de cette mission puisque la première constitution de l’Algérie indépendante a été élaborée, en définitive, dans une salle de cinéma algéroise,  » L’empire « , par une réunion de notables civils et militaires triés sur le volet.
Cette confiscation de la souveraineté populaire s’inscrit dans une série de coups de force qui vont priver les Algériens de leur droit à l’autodétermination, à commencer par leur droit inaliénable à bâtir leur Etat. Ce détournement de pouvoir constitue une trahison des valeurs et des idéaux du 1er novembre 1954 pour lesquels les Algériens ont consenti tant de sacrifices.

Usurpation de pouvoir
Depuis prés de quarante ans, un pouvoir militaro-policier a privé les Algériens de leur citoyenneté en bafouant les droits de l’Homme et en confisquant leurs libertés d’expression, d’organisation et de participation au développement de leur pays. La privatisation de l’Etat a ouvert la voie à l’accaparement des richesses de l’Algérie par un cartel d’officiers supérieurs et leurs réseaux.
Un pouvoir absolu s’exerce dans l’ombre, sans aucun contrôle ni garde fou, assuré de l’impunité. Soucieux uniquement d’assurer la pérennité du système, il anticipe pour étouffer dans l’œuf toute expression autonome de la société et toute opposition démocratique.
Cette volonté de se maintenir à tout prix l’amène à recourir au coup de force chaque fois que les conditions d’une alternance politique se font jour. Le bilan de cette gestion est catastrophique : faillite de l’agriculture, éducation sinistrée, économie délabrée, justice aux ordres, corruption généralisée…
Les conséquences de l’exclusion sociale, de l’arbitraire et d’une hogra sans limites, ainsi que le vide politique, ont créé les conditions d’une guerre contre les civils qui dure depuis dix ans et dont on ne voit toujours pas la fin.

La responsabilité du pouvoir est totale

Pour avoir rejeté et combattu systématiquement toute issue politique et démocratique à la crise, les tenants du pouvoir ont mené le pays à des dérives dangereuses et multiplié les facteurs d’implosion.
Paupérisation, perte du pouvoir d’achat, chômage endémique, licenciements massifs ont placé l’écrasante majorité du peuple dans une situation de précarité insupportable.

Comment ne pas percevoir la désillusion et le désespoir pourtant criants chez ces millions de femmes et d’hommes, qui sont demeurés dignes devant tant de malheurs et d’humiliations, malgré l’absence totale d’espoir et de perspective de changement ?
Cette situation est d’autant plus intolérable que des minorités privilégiées et d’affairistes intégrés dans les réseaux du pouvoir et de son administration affichent leur opulence de manière indécente.

Les fractures se multiplient jusqu’à menacer la cohésion sociale pendant que les autorités, insensibles au désespoir et à la détresse des Algériens, se félicitent d’une embellie financière dont on ignore les bénéficiaires et qui, en tous cas, ne profite en rien à la population.
Cette attitude montre un mépris total de l’intérêt général. Elle dénote en outre une rupture radicale avec la société, et davantage encore avec les exclus qui représentent plus de la moitié des Algériens.

Les événements récents de Kabylie

C’est dans ce contexte que sont intervenus les événements dramatiques qui ont embrasé plusieurs wilayas du centre et qui ont fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. L’assassinat de sang froid du jeune Massinissa à l’intérieur d’un poste de gendarmerie ne pouvait que mettre le feu aux poudres, surtout venant après que la préparation de la commémoration du  » Printemps berbère  » ait été perturbée par des provocations et des manipulations programmées par des cercles du pouvoir et leurs relais.
Comme en octobre 1988, les forces de sécurité n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur de jeunes manifestants désarmés qui exprimaient leur ras le bol de la hogra, de l’injustice et de l’impunité.
Ce nouveau recours à la force ne fait que s’ajouter à toutes les formes de violences subies par les Algériens depuis l’indépendance. Ces réalités réduisent à néant toutes les promesses et les professions de foi sur un système  » en voie de réforme  » et sur un Etat de droit  » en construction « .

Faire basculer une région dans le chaos

C’est certainement le dessein de ceux qui veulent en finir avec l’un des bastions qui, dans le cadre de l’unité nationale, a toujours lutté pour la démocratie, elle même inséparable de la reconnaissance des pluralismes, sans se faire complice des jusqu’aux-boutistes de la politique du pire.
La tentative de réduire une révolte et un ras le bol généralisé à une revendication linguistique, par ailleurs totalement légitime, vise à singulariser une région en agitant une fois de plus le croque-mitaine berbériste comme menace à la stabilité du pays.
Cette stratégie éculée ne cherche qu’à faire diversion face à la colère qui monte du pays tout entier et aux aspirations d’une jeunesse privée de son passé, de son présent et de son avenir.

Détourner l’opinion nationale et internationale des véritables enjeux

La répression sauvage en Kabylie prolonge les exactions massives des droits de l’Homme perpétrés à huis clos contre les civils, notamment dans les zones rurales, depuis bientôt dix ans au prétexte de la lutte contre la violence islamiste.
Le vide politique, le désordre généralisé, la multiplication des acteurs de la violence par la distribution d’armes aux civils, les attaques récurrentes contre le pluralisme visent à soumettre et éradiquer toute vie politique en brisant tous les cadres d’expression pacifique et démocratique.

Le pouvoir n’a qu’un objectif: utiliser tous les moyens pour empêcher toute alternative démocratique et rendre impossible toute solution politique de la crise.

Condamner la société à la violence

Comment s’étonner que des Algériennes et des Algériens à bout de patience et accablés par des conditions de vie qui se détériorent de jour en jour soient tentés par d’autres voies d’expression surtout quand tous les espaces politiques ont été verrouillés et pervertis?

La rue est devenue le seul recours, le dernier lieu où exprimer sa révolte.
Comment s’étonner quand les institutions préfabriquées sont à ce point inopérantes, discréditées et squattées par des intérêts claniques?
Comment parler de menaces contre la République quand il n’y a rien de public, que les espaces sont privatisés et que l’opposition démocratique est paralysée par l’état d’urgence prorogé illégalement depuis 1992 ?
Le projet de réforme du code pénal concernant la presse rappelle les mesures scélérates imposées par les dictatures d’Amérique Latine dans les années 1970.
Etouffer jusqu’au droit de dire, de dénoncer les crimes et leurs auteurs quels qu’ils soient, n’est-ce pas transférer la responsabilité de la violence vers la société?

Nous refusons tout statut octroyé, toute façade démocratique. Nous refusons le statut déshonorant de république bananière, de président préfabriqué, de constitution cocotte minute et de gouvernement fantoche.

La marche de l’espoir

Pourtant l’alternative pacifique et démocratique existe. La marche organisée par le FFS le 3 mai 2001 l’a amplement démontré.
Le peuple algérien a toujours su transcender les faux clivages, éviter les manipulations de toute nature et démontrer sa maturité politique, prouvant une nouvelle fois que la démocratie n’est pas un luxe réservé aux seuls pays nantis.
Les Algériennes et les Algériens viennent de signifier aux ultras de tous bords leur profond attachement à la paix civile, à la justice sociale et au pluralisme politique et linguistique.

Les décideurs face à leurs responsabilités

Le FFS interpelle solennellement tous les décideurs. Il les adjure d’opérer les révisions déchirantes nécessaires pour mettre en œuvre sans délai une sortie de crise politique et démocratique.
Les enjeux dépassent plus que jamais aujourd’hui les considérations de personne, de régions ou d’appareils. Il s’agit d’abord de sauver notre pays du chaos, de le hisser au rang digne de son rayonnement passé, de ses immenses potentialités présentes et par dessus tout de l’avenir et du bonheur des générations montantes.

Il importe de tourner la page des fausses solutions, des faux dialogues, des manœuvres de sérail et des diversions dangereuses. Le vrai patriotisme nous impose l’obligation d’en finir avec les atteintes aux droits de l’Homme, l’arbitraire sans limite, la détresse morale et sociale , l’impunité du crime organisé que les détenteurs de la rente pétrolière tentent d’occulter par des campagnes médiatiques et diplomatiques qui ne trompent personne, y compris désormais à l’étranger.

Retour à la transition démocratique

Le FFS considère que l’urgence des urgences est de libérer une dynamique politique de construction démocratique de l’Etat et de la société.

Pour cela, des mesures urgentes de détente doivent être prises, notamment:

1. Levée de l’Etat d’urgence et abrogations de toutes les lois d’exception
2. Ouverture des champs politique et d’opinion, par la levée toutes les restrictions et entraves à l’exercice des droits d’expression, de manifestation, d’organisation et d’association.
3. Ouverture du champs médiatique en garantissant l’accès libre et équitable aux médias lourds, notamment la télévision.
4. Reconnaissance de Tamazight, l’un des piliers de l’Algérianité au même titre que l’arabe, comme langue nationale et officielle.
5. Retrait immédiat du projet de loi portant amendement du code pénal concernant la liberté de la presse
6. Retrait de l’hypothèque de l’agrément préalable qui empêche la constitution de partis et d’associations autonomes, et de journaux indépendants.
7. Mettre fin au pillage du patrimoine national par le démantèlement de tout le cadre juridique l’ayant favorisé et le retrait de toutes les lois aboutissant au bradage de nos ressources nationales, telle la loi sur les hydrocarbures.
8. Engager des poursuites contre les responsables de cette dilapidation.

Il s’agira également de prendre des mesures immédiates pour la protection des populations en poursuivant les auteurs des actes perpétrés contre les civils et en mettant en place un dispositif destiné à prévenir la violence et à faire respecter les droits de l’homme.
Dans ce sens, l’acceptation de l’envoi de rapporteurs spéciaux sur la torture, les exécutions extrajudiciaires ainsi qu’un groupe de travail sur les disparus s’impose.

Ces mesures seront de nature à créer un climat favorable à l’ouverture d’un dialogue entre le pouvoir et les forces politiques et sociales en vue d’amorcer une véritable transition démocratique.
Le cadre, les partenaires et les objectifs doivent être définis d’un commun accord.

Le FFS propose que ce dialogue se structure autour de:

1. L’élaboration d’une charte politique sous la forme d’un engagement public et sans ambiguïté des différents acteurs pour :
a – le respect des libertés fondamentales, individuelles et collectives.
b – Le respect et la défense des droits de l’homme en toute circonstance.
c – Le respect des pluralismes politique, culturel , linguistique et confessionnel.
d – La non utilisation de la religion à des fins politiques par toutes les parties.
e – Le rejet de la violence comme moyen d’expression politique

2. La mise en place d’institutions chargées de gérer une période de transition la plus
courte possible:
a – une Convention Nationale de Suivi et de Contrôle de la Transition ( CNSCT)
La CNSCT dont la composition sera définie par les participants au dialogue, sera chargée :
– d’agréer les personnalités devant siéger au gouvernement
– d’élaborer l’ensemble du dispositif électoral (révision des listes, découpage électoral,
révision de la loi électorale, dispositif de surveillance nationale et internationale du
processus électoral)
– de fixer le calendrier électoral dans sa globalité, avec l’élection d’une assemblée
constituante comme première étape.
b – un gouvernement chargé de mettre en œuvre les recommandations de la CNSCT et
d’expédier avec le chef de l’Etat les affaires courantes.

Ces deux institutions auront donc pour mission essentielle de réunir les conditions politiques et techniques nécessaires à l’organisation de l’élection d’une assemblée constituante.
Une telle assemblée est une condition sine qua non pour restituer au peuple algérien son droit à l’autodétermination et mettre en place un Etat de droit.
C’est en effet aux Algériennes et aux Algériens, et à eux seuls, qu’il appartient de reconstruire un Etat en lui donnant des fondements garantissant la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la non utilisation de la religion à des fins politiques, le respect de tous les pluralismes existant dans la société, l’égalité entre hommes et femmes, le respect et la promotion des droits de la personne humaine.

Durant cette période de transition, l’assemblée populaire nationale étant dissoute. le chef de l’Etat peut légiférer par ordonnance sur des questions d’intérêt national avec l’approbation de la CNSCT.
L’institution militaire, partenaire important de cette transition, doit être garante du respect des engagements pris. Elle doit être associée à l’ensemble des étapes du processus. Son retrait du champ politique doit être graduel et effectif.

La communauté internationale doit être également présente, par le biais d’une représentation officielle et permanente du Secrétaire général des Nations-Unies, chargée de l’observation et, éventuellement, des bons offices, dès le début et tout au long de ce processus historique mené par les Algériens, pour les Algériens en Algérie.

Alger, le 12 mai 2001

Front des Forces Socialistes 56, Souidani Boudjema – Alger tel: 21321694141 fax: 21321484554 e-mail : [email protected]

 

 

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