Colloque « 17 et 18 octobre 1961: massacres d’Algériens sur ordonnance

Colloque « 17 et 18 octobre 1961: massacres d’Algériens sur ordonnance? »

samedi 21 octobre 2000

Déclaration de J. Derrida

Nous aurions, me semble-t-il  » contre l’oubli « , un premier devoir : pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix qu’elles ont perdue. Pensons d’abord à la destinée – chaque fois unique et irremplaçable – de ceux et de celles à qui on a dénié le droit à la parole et au témoignage et qui ont eu à souffrir l’injustice dans leur vie, parfois dans leur honneur. Pensons à la machine qui les a ainsi broyés, à l’ignominie de certains individus, de certaines forces sociales, de certains appareils étatiques ou policiers. A chacune des victimes, toujours au singulier, à tous ces  » disparus « , nous devons épargner ce surcroît de violence : l’indignité, l’ensevelissement du nom ou la défiguration du souvenir.

Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier : en réparant l’injustice et en sauvant la mémoire, il nous revient de faire ouvre critique, analytique et politique. En général et cette fois au-delà des singularités exemplaires. Les crimes en question, les censures, les amnésies, les refoulements, la manipulation ou le détournement des archives, tout cela signifie un certain état de la société civile, du droit et de l’Etat dans lesquels nous vivons. Citoyens de cet Etat ou citoyens du monde, au-delà même de la citoyenneté et de l’Etat-nation, nous devons tout faire pour mettre fin à l’inadmissible. Il ne s’agit plus seulement alors du passé, de mémoire et d’oubli. Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit, la police, la politique de l’archive, des media et de la mémoire vive. Et il doit le faire en passant les frontières nationales.

Jacques Derrida

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