Black-out sur les archives militaires

Black-out sur les archives militaires

Les documents, dont des films d’interrogatoires, sont explosifs.

Jean-Dominique Merchet, Libération, 24 novembre 2000

Parole de ministre de la Défense: les militaires «seront satisfaits que la transparence soit faite» sur la torture durant la guerre d’Algérie, assurait mercredi soir Alain Richard sur France Info. Avec un tel viatique, les historiens et les simples citoyens devraient être les bienvenus dans les archives militaires. Cela risque pourtant de ne pas être aussi simple.

Délai prolongé. Les milliers de cartons contenant les archives de la période 1954-1962 sont entreposés au service historique de l’armée de terre, au château de Vincennes. Théoriquement, toutes les archives publiques sont accessibles au bout de trente ans. Mais, selon la loi du 3 janvier 1979, ce délai est prolongé à soixante ans lorsqu’il s’agit de secrets «intéressants la défense nationale» ou pour la «protection des individus». Ainsi, les cartons concernant la bataille d’Alger de 1957 ne seront pas ouverts avant 2017. La «transparence» attendra. Sauf si le ministre – qui en a le pouvoir – décide d’ouvrir plus largement les archives.

Il pourrait être incité à le faire à la suite des déclarations du Premier ministre, le 4 novembre devant le Conseil représentatif des institutions juives de France, appelant à un «travail de vérité» sur l’histoire qui «renforce la communauté nationale». L’affaire pourrait désormais se jouer en interministériel. L’Intérieur veut avoir son mot à dire, car les archives militaires contiennent les noms de policiers et de fonctionnaires civils impliqués dans la répression. Et l’ouverture des cartons de Vincennes rendrait encore plus difficile de maintenir le black-out sur les archives de la préfecture de police concernant les rafles du 17 octobre 1961. D’autre part, le ministère des Affaires étrangères est très soucieux d’éviter un incident diplomatique avec Alger. Mis sur la place publique, un certain nombre de documents pourrait être utilisé dans le jeu politique algérien, assure-t-on de bonne source. Autant dire que, une fois les micros éteints, personne n’est vraiment pressé d’être «transparent».

Septuagénaires. Surtout que les archives contiennent des noms de personnes vivantes. Si les généraux de l’époque sont aujourd’hui très âgés, les capitaines ne sont que septuagénaires. Le dévoilement de leur nom pourrait ainsi entraîner une kyrielle de procès pour violation de la vie privée: «A telle date, le lieutenant Untel du détachement opérationnel de protection de tel secteur a procédé à l’interrogatoire de…» On imagine l’effet sur ce monsieur Untel, quarante ans après les faits. Il y a pire: selon nos informations, des films ont été tournés durant certains interrogatoires. Les bobines dormiraient toujours au fort d’Ivry, dans les caves de l’Etablissement cinématographique et photographique des armées (ECPA). Par «prudence», ces films n’ont pas été répertoriés au catalogue. Ils n’existent donc officiellement pas.

Faits amnistiés. L’ouverture d’archives a d’abord une valeur scientifique: permettre aux historiens de savoir ce qu’il s’est passé. Cela n’aurait pas de conséquences judiciaires, car les faits datant de la guerre d’Algérie sont amnistiés. Il ne s’agit pas d’une décision unilatérale de la France, mais d’une conséquence directe des accords d’Evian signés le 18 mars 1962 par le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne.

Cet accord, qui a mis fin à la guerre d’Algérie, prévoyait que «nul ne pourra faire l’objet de mesures de justice en raison d’actes survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu», le 19 mars 1962. Une disposition passée dans le droit français dès la loi d’amnistie du 23 décembre 1964 «sur les infractions commises en réplique aux excès de l’insurrection algérienne». Pour qu’un procès ait lieu, il faudrait requalifier les faits comme «crimes contre l’humanité», ce que même Me Gisèle Halimi, pourtant très engagée dans cette affaire, juge impossible.

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